Allocution d’ouverture du FTA 2019

Discours livré par Martin Faucher, directeur artistique

Le mercredi 22 mai 2019 à 18 h
Quartier général du FTA


© Maude Chauvin

« Mesdames, messieurs, distingués invités, festivaliers passionnés, c’est avec joie, une heureuse fébrilité, mais aussi avec inquiétude et une tristesse certaine que je prends la parole en cette ouverture de la 13e édition du Festival TransAmériques.

Commençons par la joie.

Sortir de soi. Aller à la découverte de l’Autre, quel qu’il ou qu’elle soit, afin que par le souffle des œuvres artistiques qu’il ou elle nous propose, s’ébranlent nos certitudes, s’émiettent nos idées reçues et advienne le changement qui fera en sorte qu’un souffle nous anime, nous agite, qu’un formidable mouvement nous emporte vers le meilleur.

Car meilleur il y a.
Car meilleur il se doit.

Pendant 14 jours, le FTA est l’hôte de plus d’une centaine d’artistes de danse et de théâtre d’ici et d’ailleurs, des artistes de générations et d’horizons différents, des artistes qui ont l’impudeur de plonger au plus profond d’eux, qui ont la force et le courage de regarder le monde en face et de nous dire : voilà ce que je ressens, voilà ce que je pense, voilà l’œuvre que je crée et que je partage avec vous. Et ce partage, cet échange, généreux, confiant, libre, est inestimable.

La tristesse maintenant.

En cette 13e édition du Festival TransAmériques, jamais le chemin pour rejoindre le Canada n’aura été aussi ardu, tortueux, pénible, humiliant parfois, pour des artistes ayant des passeports iraniens, burkinabés, camerounais, cubains, sud-africains ; jamais autant de spectacles venus de l’étranger n’auront été susceptibles de ne pas être présentés en raison du refus de la part des autorités canadiennes d’accorder des visas de séjour à ces artistes, ou encore en délivrant ces visas dans des délais déraisonnables. À cette heure-ci, la danseuse camerounaise Antonia Naouele, à qui on a délivré in extremis ce matin un visa à Yaoundé, est quelque part dans un avion qui arrivera à Montréal demain à midi, pour danser un peu plus tard à 20 h dans Kalakuta Republik. Ses collègues burkinabés Jean Robert Koudogbo, danseur, et Hermann Coulibaly, éclairagiste, moins chanceux, toujours en attente de leurs visas, sont cloués à Ouagadougou et espèrent être des nôtres dès vendredi afin de rejoindre l’équipe du spectacle.

Cette situation est gênante, incompréhensible pour une terre qui se veut ouverte, accueillante, et doit être corrigée de toute urgence. Nous y veillerons.

L’inquiétude maintenant.

La grande inquiétude.

Presque tout est dépassé, inopérant. Il n’y a plus de certitude. Demain n’est pas assuré. Le monde d’hier s’efface doucement dans un brouillard étrange. Les frontières de nos territoires, politiques ou intimes, physiques ou virtuels, sont inadéquates et ne correspondent plus à nos réalités multiples, changeantes. Ce qui était vrai hier, ce qui était acceptable, admis, ne l’est plus aujourd’hui.

Nous vivons une époque tourmentée, haineuse, violente, une époque cruciale pour la suite de notre humanité. Nous sommes sur le point de perdre la majesté et la puissance de la nature, cette nature qui nous donne vie, qui nous permet de respirer, de manger, de boire, d’aimer, de créer.

On ne peut arriver à la beauté qu’en éveillant le désir de la beauté.

Ces mots, vrais, implacables, sont ceux de Isadora Duncan, danseuse et chorégraphe américaine qui au début du XXe siècle a révolutionné l’art de la danse.

Ces mots m’habitent, me donnent du courage.

Nous vivons dans un monde en révolution.

Je suis un révolutionnaire.

Le Festival TransAmériques est une formidable machine de guerre de la beauté.

L’an dernier, le Québec a permis la destruction de 444 hectares de milieux humides, milieux essentiels à la biodiversité, soit l’équivalent de 700 terrains de football.

L’hiver dernier, nos populations d’abeilles qui sont essentielles à la pollinisation, et par conséquent à l’agriculture, à ce que nous mangeons, ont connu un déclin sans précédent de plus de 32 %.

Ces constats sont terrifiants.

C’est pourquoi, à compter de maintenant, et ce pendant les 14 prochains jours, je décrète que tous les lieux où le FTA se déploie soient désignés ruches et milieux humides.

La Place des Arts, Salle Jean-Duceppe et Cinquième Salle, milieux humides ; le Monument-National, Salle Ludger-Duvernay et Studio Hydro-Québec, milieux humides ; l’Usine C, le Centaur, milieux humides ; Prospero, ruche ; Théâtre La Chapelle, ruche ; le Théâtre Rouge du Conservatoire, ruche ; l’église St Jax, ruche ; l’Édifice Wilder – Espace danse où loge l’Agora de la danse, ruche ; Espace Go, Théâtre d’Aujourd’hui et la place des Festivals du Quartier des spectacles, à la fois ruches, milieux humides, et tant qu’à faire – soyons visionnaires – toundra, littoral, forêt boréale.

Que tous ces lieux qui se consacrent à l’art, à l’élévation de l’âme et de l’esprit, à l’avancement de la société québécoise soient farouchement protégés et favorisent l’abondance de larmes, larmes de joie et larmes de tristesse, la sueur, la morve, le sperme, les sécrétions et déjections de toutes sortes, afin que jaillisse, belle, forte, la vie sous ses formes les plus surprenantes et les plus inattendues.

Je suis fier d’affirmer qu’ici, au Quartier général du Festival, dans une éthique d’écoresponsabilité, tout ce que nous offrons à boire et à manger est entièrement québécois. L’eau, on ne la vend pas, on l’offre. Nous ne vendons aucun produit dénaturé par ces multinationales lubrifiées à l’huile de palme, irrespectueuses de l’environnement. J’invite tous mes collègues montréalais qui travaillent dans des lieux de spectacle à agir en ce sens. C’est par l’accumulation de gestes comme celui-ci que nous retrouverons le chemin vers une nature saine.

Je reconnais que je vis et travaille sur une terre peuplée des ancêtres de la nation Kanien’kehá:ka comme gardienne des terres et des eaux sur lesquelles nous nous réunissons aujourd’hui.

Je reconnais aussi que nous n’avons pas été à la hauteur de l’héritage des peuples autochtones qui ont pris soin de notre Mère la Terre.

Oui, il faut planter au plus vite autour de nous 500 000 arbres.

Nous avons été capables de bâtir pour plus d’un milliard de dollars un stade en béton au toit pas de toit, nous sommes bien capables de nous offrir une forêt en vraie forêt.

Je me prends à rêver à ce qu’il y avait ici sous mes pieds il y a 50 ans, il y a 100 ans, il y a 1 000 ans. Quelle fleur, quelle mousse, quelle roche, quel animal, quel arbre, quelle femme, quel homme, quel artiste a contribué à l’histoire mystérieuse qui gronde ici sous mes pieds ?

Je suis debout devant vous, vous êtes là devant moi.

Je me plais à rêver à ce qu’il y aura ici dans 50 ans, dans 100 ans, dans 1 000 ans, à quelle fleur, j’espère, à quel arbre, j’espère, à quelle femme, à quel homme, à quel artiste, j’espère, qui pensera à nous et qui dira : Ils et Elles sont passés par ici et c’était bien.

Nous sommes en mai, le ciel est bleu.

Je nous souhaite un beau et bon Festival TransAmériques. »


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