Quelle est l’origine de cette nouvelle création et à quoi le titre réfère-t-il ?
J’aimerais que le public s’imagine immergé dans un nouvel élément, comme lorsqu’il est dans l’eau et découvre des sensations inconnues.
La plupart du temps, ma danse est improvisée et comme pour toutes les choses vivantes qu’on ne contrôle pas, il y a plein de petits incidents qui n’étaient pas prévus qui surviennent. Même les muscles qui tremblent modifient la chorégraphie !
Parfois, le corps humain crée ce qu’il ne peut imaginer, plus que ce qu’il espérait. Comme dans la vie, on a des objectifs, mais tant d’imprévus qui bousculent notre quotidien : nous sommes soumis aux contingences.
Le corps humain n’est pas un robot et produit beaucoup d’erreurs que je connecte au visuel et à l’environnement par un système interactif qui génère des mouvements visuels reproduisant ceux que j’exécute.
Le public peut donc les ressentir et se trouve lui-même dans une situation de contingence : la danse a une direction, comme la vie, mais les accidents qui jalonnent notre parcours la font dévier.
Les images créées sont basées sur des recherches scientifiques sur la fluidité et la collision de vos mouvements. Pouvez-vous expliquer en quoi cela consiste ?
J’étudie les sciences cognitives et psychologiques en autodidacte, pour savoir comment travaillent les sens, les tensions sensorielles.
Aussi, je m’intéresse à la manière dont les gens reconnaissent le mouvement et la façon de chorégraphier la nature, parce que le corps humain fait partie de la nature, comme l’eau, l’air, mais aussi le son, la lumière. Je cherche à relier ensemble ces différents éléments.
Ici, je me concentre sur la fluidité et l’immersion.
Dans ma pièce précédente, je tentais de raccorder mes mouvements de danse avec les informations de mes muscles, appliquées au matériel visuel pour créer du mouvement de danse dans le langage visuel.
Je cherche une manière de connecter le mouvement humain à ces autres langages et de trouver une sensation, un sentiment organique transmis au public.
Il est rare que la même personne chorégraphie à la fois la musique, la vidéo et la danse. Comment travaillez-vous ces trois dimensions ?
Je travaille de cette manière depuis mes débuts, il y a 20 ans, mais j’ai besoin de programmeurs et autres spécialistes pour m’épauler.
Créer le son, la musique et la chorégraphie du corps humain fait partie pour moi d’une même installation visuelle. Comme chorégraphe, je m’efforce de les unir et je ne les différencie pas tellement. Je fais d’abord de la recherche autour du matériel que j’utilise dans la pièce et je compose ensuite la musique. Puis tout le reste vient en même temps.
Je cherche un langage chorégraphique commun pour chaque élément de la pièce : le son, le visuel et mon corps. Mon objectif est de créer des espaces. Pour ce genre de création, la technologie m’aide à lier différents médias, matériaux ou structures de langage entre elles.
Comme spectateur, on entre dans un état hypnotique, presque méditatif. Quel est l’effet que vous recherchez ?
Je veux transmettre des sensations, partager des impulsions. Normalement, on perçoit le monde avec nos yeux, nos oreilles, notre sensibilité sans trop de risque. Parfois, on protège un peu trop nos sens.
Dans cette pièce, je veux éveiller les sens des spectateurs en transmettant de très fortes stimulations que le public n’expérimente pas dans la vie de tous les jours.
En ouvrant leurs sens, les gens sont amenés dans un autre état, plongés dans leur tête autant que leur corps. Le public de danse contemporaine est moins habitué à ce type de sensations fortes provoquées par la vidéo et la musique, qu’on trouve plutôt dans les concerts de musique électronique.
Vos œuvres ne racontent pas d’histoire, mais créent plutôt une expérience immersive et sensorielle. En quoi les sensations sont-elles importantes pour vous ?
Je suis le genre de personne qui vit fortement les sensations et les impulsions. Quand je pense à quelque chose, au centre se trouve généralement une sensation. J’ai grandi à Tokyo, une très grande ville où tout change et bouge très vite : la mode, l’information, les constructions.
C’est une des raisons pour lesquelles je fais mes œuvres. En grandissant dans ce contexte de transformation constante, je suis incapable de saisir toutes les informations qui me sont transmises — elles sont trop nombreuses et changent tout le temps. Ce en quoi je crois aujourd’hui sera sans doute différent dans les prochains jours.
Grandir dans une mégapole comme Tokyo m’a fait perdre ce en quoi je pouvais croire. C’est pourquoi je fais confiance aux sensations et aux émotions du corps. C’est ce que je veux partager avec les autres.