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Elle collabore à Nocturnes et L’époque, deux films du cinéaste Matthieu Bareyre. En 2017, au Wiener Festwochen, elle est interprète dans Les nouveaux aristocrates de Monika Gintersdorfer et Franck Edmond Yao, avec les membres du collectif LA FLEUR venus de Côte d’Ivoire, d’Allemagne, de la RDC et de France.

Artiste associée au Théâtre de la Commune d’Aubervilliers depuis 2018, elle y crée Le grand sommeil en collaboration avec la comédienne Helena de Laurens. Le spectacle est à l’affiche du Festival d’automne à Paris en 2018. En 2019, pour Pièce d’actualité n°12 : DU SALE!, un duo pour la rappeuse Original Laeti et la danseuse Janice Bieleu, elle reçoit le Grand Prix du jury au Festival européen Fast Forward de Dresde. _jeanne_dark_ performance retransmise sur Instagram et jouée simultanément sur scène, est créée en 2020 dans le cadre du Festival d’Automne à Paris et présentée ensuite notamment à Angers, Tours, Strasbourg et Orléans.

_jeanne_dark_, que vous avez écrit et mis en scène, est présenté à la fois dans une salle et sur Instagram, et tous ont accès en temps réel à ce qui s’écrit par les internautes. Est-ce que cela modifie le spectacle ? 

Dans le pire des cas, la comédienne Helena de Laurens ne réagit pas aux commentaires. C’est arrivé parfois, surtout au début parce qu’elle n’était pas habituée à réagir rapidement ou qu’elle craignait d’être déconcentrée. Mais de plus en plus, elle réussit à répondre, à interagir, à intégrer les commentaires. Par exemple, nous avons eu des spectateurs et spectatrices qui se moquaient d’elle, elle les a engueulés en disant : « Voilà, dans ma classe ils sont exactement comme vous. » Ensuite ils se sont excusés. C’est ce que nous essayons de travailler, que tout devienne fiction.

Que ces messages qu’elle reçoit deviennent son carburant. Cela lui demande une énergie très forte, une écoute de tous les instants, mais elle y arrive de plus en plus. Par contre, il y a des moments dans la pièce où elle pète un câble, et dans cet état, elle ignore les commentaires. Plus le spectacle avance et plus elle s’en détache parce qu’elle entre dans une sorte de folie, et c’est dans la trajectoire du personnage. Mais au début, il est vraiment important qu’elle demeure en lien avec ce qui se dit en live.  

Les spectateurs ont surtout des habitudes liées aux réseaux sociaux et aux rapports particuliers que cela crée ; quels sont les commentaires qui reviennent ? 

Parfois les spectateurs se demandent si c’est du théâtre ou bien si c’est réel. Il y a aussi beaucoup de remarques sur la mise en espace, on trouve que le téléphone filme de trop près. Ou bien on ne comprend pas de qui on parle, alors d’autres répondent, mettent les nouveaux qui arrivent au courant de ce qui se passe, parce que les gens prennent le spectacle à différents moments. Ils peuvent arriver au milieu, peuvent repartir quand ils veulent. Et il y en a qui s’amusent avec la fiction, parce que ce n’est pas tous les jours qu’on peut interagir avec un personnage.  

Ce qui est étrange à mon avis et ce que j’ai pu entendre, c’est qu’Instagram est habituellement un endroit de réel, d’authenticité. Et nous, nous y montrons de la fiction, les gens en sont perturbés. Il y a quelque chose qui peut être angoissant parce que cette fille n’a évidemment pas 16 ans, et en plus on évoque des sujets tabous, qu’on garde enfouis en soi.

Les sujets abordés peuvent être angoissants pour les plus jeunes : la sexualité, le regard des autres sur soi, le rapport au corps, les parents, la religion… des sujets qui peuvent être crispants. Ce cocktail suscite des moments de peur parce qu’il y a des moments d’identification très forts, ce qui ne fait pas normalement partie d’Instagram.  

Le spectacle dans la salle ressemble-t-il à ce que l’on voit sur notre écran ? 

Sur scène, il y a la chambre de Jeanne, qui est en papier blanc, et de chaque côté se trouvent deux écrans verticaux, cela ressemble un peu à un triptyque. Sur ces écrans est projeté ce que filme Helena avec son téléphone. Les spectateurs voient en temps réel les commentaires sur Instagram. Elle ne s’adresse qu’au téléphone, jamais aux spectateurs dans la salle. C’était le parti-pris de départ : pendant une heure trente, les spectateurs voient une fille qui parle à son téléphone.

Ce que je trouve intéressant, c’est qu’au théâtre il y a toute cette énergie qu’elle déploie et que l’on voit. Helena est quelqu’un de très physique, elle est autant danseuse qu’actrice, elle est extrêmement à l’aise avec son corps. Il me semblait intéressant de voir les postures qu’elle peut prendre, en même temps que son regard est entièrement occupé par l’écran. Elle rampe, elle court, elle s’agite, plusieurs mouvements qu’elle fait ne sont pas visibles sur l’écran. Même si elle est fixée sur Instagram, cela demeure un spectacle de théâtre.  

Nous avons fait une série de représentations sans public, une version en appartement, depuis une vraie chambre que l’on avait aménagée. Helena jouait seulement devant le téléphone, et que pour Instagram. Il y avait plus de 600 personnes en même temps qui suivaient le live. Il y a eu une avalanche de commentaires.

C’est comme si les spectateurs avaient oublié que la personne qu’ils voyaient sur l’écran était réelle, que c’était une actrice. Pour eux, c’était une image, ils pouvaient faire n’importe quoi d’elle. C’était très violent. Quand on joue simultanément au théâtre, le fait de sentir qu’il y a une masse de gens qui regarde ramène les internautes à une réalité tangible que l’on perd sur les réseaux.