Declarations

En 2012, à l’âge de 24 ans, il fonde Videofag avec William Christopher Ellis. Aménagé dans un barbershop désaffecté du quartier de Kensington Market à Toronto, ce théâtre de poche devient un foyer de création déterminant, en particulier pour les artistes de la communauté LGBTQ. Lorsque Videofag ferme ses portes quatre ans plus tard, Tannahill est déjà un artiste d’influence : sa pièce rihannaboi95, qui subvertit l’Internet, lui vaut en 2013 un premier prix Dora ; sa production de la pièce de Sheila Heiti, All Our Happy Days Are Stupid, en 2014, est reprise par le Harbourfront Centre avant d’être présentée à The Kitchen à New York ; la même année, son recueil de pièces intitulé Age of minority: Three Solo Plays remporte le Prix littéraire du Gouverneur général, un honneur qu’il remporte à nouveau en 2018 avec Botticelli in the Fire & Sunday in Sodom ; en 2015, son essai Theatre of the Unimpressed: In Search of Vital Drama provoque l’effet d’un électrochoc au Canada anglais. Liminal, son roman publié à La Peuplade, est sélectionné aux Prix des libraires du Québec 2020. Son second roman, The Listeners, paraîtra en août chez HarperCollins.

Sa carrière prend une dimension internationale en 2017 avec la présentation de Late Company dans le West End à Londres, puis avec ses collaborations avec le chorégraphe Akram Khan. Pour ce dernier, Tannahill écrit le solo final de la pièce Xenos, récompensée par un Olivier, ainsi que le texte de Outwitting the Devil, une pièce de Khan présentée au Festival d’Avignon en 2019.

Draw Me Close, une performance traversée par la réalité virtuelle coproduite par le National Theatre de Londres et l’Office national du film du Canada a été présentée à la Biennale de Venise, au Festival du film de Tribeca en 2017 et au Young Vic Theater de Londres en 2018. La même année, il crée Declarations pour le Canadian Stage (Toronto), que l’on aurait dû voir au FTA 2020. La nouvelle pièce de Tanahill, Is My Microphone On?, sera présentée en première au Theater der Welt à Düsseldorf en juin, puis au Canadian Stage.

Dans votre remarquable essai intitulé Theatre of the Unimpressed. In Search of Vital Drama et publié en 2015, vous approchez le théâtre comme une « expérience qui ne peut avoir lieu qu’une fois », rejetant une pratique « où tout a été planifié d’avance ». Est-ce encore votre façon d’envisager le théâtre ? 

C’est le moteur de mon travail. Je m’intéresse à la puissance essentielle des événements qui se déroulent en temps réel ; dans des performances vivantes, qui réagissent au moment présent. Quelque chose de vraiment vivant, dont l’issue n’est pas prédéterminée, est toujours quelque chose qui flirte avec l’échec. Mais c’est l’échec qui génère ces moments uniques qui révèlent notre humanité. Ces erreurs, désarmantes et révélatrices, ne sont pas quelque chose que je confine à la salle de répétition, mais que je laisse plutôt s’intégrer au produit fini. Je cherche à en faire un élément constitutif de la vivacité des performances que j’offre au public.  

Ainsi, Declarations portent beaucoup sur la nature éphémère du théâtre et de l’existence. C’est une pièce qui savoure les échecs et les imperfections inhérents à la fois aux performance live et à la vie. Le texte tente la tâche impossible, et donc vouée à l’échec, de rendre compte de toutes les sensations, toutes les images, toutes les impressions d’une vie humaine.

« This is the colour yellow / This is a bully / This is Abraham and Isaac / This is the smell of my mother lingering in a closet / This is the last sentence in a long book ». Dans la production originale, cinq interprètes improvisaient des gestes sur chacune de ces déclarations. Ces mouvements, non répétés, créaient des événements spontanés liants images et mots, qui pouvaient être n’importe quoi. Quelque chose de beau, de drôle ou d’émouvant. Comme la vie. De cette façon, Declarations était une pièce qui changeait considérablement d’un soir à l’autre, en fonction de l’atmosphère de la salle et des impulsions des interprètes. 

Maintenant que Declarations est une lecture mise en scène, on perd ces moments de vivacité révélateurs qui venaient des improvisations. Pour y remédier, j’ai remplacé les juxtapositions image/texte venant des gestes des interprètes par une série d’images tirées de ma vie personnelle. Mon souhait est de reproduire  ̶ et de créer à nouveau  ̶ le sentiment de surprise, de découverte et de révélation qui émergeait des collisions fortuites du texte et des partitions gestuelles de la pièce. 

Nous vivons dans un monde très différent de celui dans lequel Declarations a vu le jour en 2018. Je suis reconnaissant de pouvoir réinventer le spectacle à une époque où nombre d’entre nous ont pris du recul et ont dû composer avec la notion de perte. C’est très particulier, presque de l’ordre du sacré, d’être de retour dans un théâtre, de partager à nouveau cet espace avec des amis et des inconnus. 

Vous décrivez Declarations comme étant un rituel. En quel sens ? 

Voilà un mot, rituel, que je n’utilise pas à la légère. Declarations a beau être un spectacle ludique et souvent joyeux, il pose des questions fondamentales : qu’est-ce que vivre ? Qu’est-ce que mourir ? Que signifie perdre un proche ? Ce sont des questions essentielles, qui font partie de la vie de chacun, mais auxquelles il est impossible de répondre. S’y attaquer mène tôt ou tard à un échec. Ce sont néanmoins les questions pour lesquelles depuis des millénaires et dans toutes les cultures les gens vont au temple. Or j’ai beau être athée, j’ai un temple. Et c’est le théâtre.