Meshtitau

L’artiste de performance corps et voix s’intéresse aux chants du monde, aux sons, à l’improvisation vocale ainsi qu’à l’interprétation physique. Ses créations s’inspirent des rêves et des récits mythologiques, de la cosmogonie et de l’esprit sacré des animaux du monde innu. Elle s’est illustrée dans divers festivals et événements artistiques à travers le monde, notamment en Nouvelle-Zélande, en Australie et aux États-Unis. Elle a été en résidence artistique pour artiste autochtone à l’École nationale de théâtre du Canada de 2018 à 2020. 

Sa première production, Umanishish, a été créée en 2018 et mise en scène par Xavier Huard. Seule en scène, Launière y explore le temps mystérieux d’avant la naissance et son rapport au territoire ancestral du peuple innu.       

Adepte de dispositifs audiovisuels, Launière aime travailler la superposition d’images et de présence scénique, le dialogue entre l’humain et le numérique créant une technologie organique. À l’hiver 2020, elle a signé au Théâtre de Quat’sous la co-mise en scène de la pièce Courir l’Amérique, inspirée des livres de Serge Bouchard et Marie-Christine Lévesque, Elles ont fait l’Amérique et Ils ont couru l’Amérique, des récits d’hommes et de femmes remarquables, oubliés par la grande Histoire. Ensemble en scène, l’artiste abitibien Alexandre Castonguay, Soleil Launière et le metteur en scène Patrice Dubois tentent de faire acte de mémoire avec lucidité, humour et franchise. En poursuivant sa recherche autour des silences, des langages universels et des oubliés, Launière explore avec Meshtitau, une œuvre créée au FTA 2021, la filiation et les liens brisés avec le territoire. Inspirée du savoir des arbres, de leur vie après la mort, cette performance invite à se reconnecter avec nos racines.  

Meshtitau est une performance inspirée par les arbres coupés depuis 400 ans, par ce qu’ils deviennent après. Une pièce qui traite de filiation et de mémoire ?

Meshtitau signifie « il a tout détruit, saccagé sur son passage » en innu-aimun, ma langue paternelle. C’est une pièce sur l’oubli et la mémoire, mais aussi un peu sur la nostalgie. La performance a lieu en plein centre-ville, dans le jardin du Musée d’art contemporain, où il n’y a pratiquement pas d’arbres, sauf de tout petits, plantés il y a peu de temps. On a commencé à travailler dans un autre espace où il y avait de vieux arbres centenaires, et je me suis demandé comment était le territoire avant la ville et l’arrivée des colons. Où sont rendus les arbres qui ont été coupés ?

Les arbres transmettent leur savoir à travers leurs racines et leur tronc, même après leur mort. Ils continuent à partager des connaissances et des nutriments avec les jeunes arbres autour. Quelque chose reste, une certaine immunité et la connaissance du territoire. Je me suis interrogée sur cette passation, qui n’est plus présente pour les arbres qui poussent autour de nous et qui tombent malades. J’ai fait un lien avec nos aînés qui partent avec leurs connaissances et leur mémoire, qu’on perd souvent sans qu’on n’y ait eu accès. Je fais donc un parallèle entre la mémoire des arbres et celle des ancêtres.

 Il y a dans l’œuvre un contraste entre l’espace urbain et la nature rapatriée (l’arbre centenaire). Vous travaillez aussi avec la lumière du soleil. Est-ce une manière de nous ramener vers la nature ?

La performance débute dix minutes avant le coucher du soleil parce que je voulais reconnecter avec la temporalité de la nature. Je me suis surprise à me demander s’il faisait encore clair une heure après le coucher du soleil. Je ne le savais plus. On ne voit pas souvent le soleil se coucher à Montréal. Je veux rapatrier l’énergie du territoire en ville. Je veux créer un espace où on revient en arrière, je veux écouter les sons qui étaient là avant, sentir l’énergie de l’espace avant qu’il n’y ait les gratte-ciels et le béton qui nous entourent. Je souhaite aspirer le monde dans cette énergie.

Pendant le coucher du soleil, on passe du monde de la lumière au monde de l’ombre et de la noirceur. On travaille avec les ombres et la multiplicité de la personne. Chez chaque être, il y a plusieurs esprits, plusieurs connexions, plusieurs racines, et avec la performance, on crée la rencontre des interprètes avec leurs différentes ombres. Les performeurs se touchent à travers les ombres. Le coucher du soleil représente ce passage de l’autre côté, ce passage entre la vie et la mort. Ça renvoie à la peur du noir, de la nuit, de la mort, de ce qu’on ne connaît pas ou de ce qu’on ne voit pas.

Pourquoi avez-vous choisi les interprètes Jacques Newashish et Rasili Botz, tous deux âgés de plus de 65 ans. C’était important pour vous de créer avec des aînés ?

 Le message performatif que je voulais créer ne pouvait se faire que par des aînés. Il faut mettre la lumière sur eux. Sur leur corps, leur vécu. Mon choix d’interprète est venu à travers mes rêves et mes visions. J’ai rencontré Jacques à l’occasion d’un atelier il y a plusieurs années et j’ai été marquée par sa présence exceptionnelle. Il est très terre à terre, très connecté avec ses racines, son art. C’est un artiste multidisciplinaire qui touche à tout, à la sculpture du bois, au territoire, à la peinture, au cinéma.

Rasili est ma mentore, ma complice depuis onze ans. C’est grâce à elle que je fais ce que je fais. Elle m’a beaucoup appris. Elle a aussi une présence naturelle très forte. C’est un privilège pour moi de pouvoir la mettre en scène. Elle représente une figure parentale très forte pour moi.