Pour Them Voices, en plus de réfléchir à votre relation avec votre passé familial, vous vous tournez aussi vers l’avenir qui s’ouvre devant vous. Comment cela se manifeste-t-il dans cette œuvre ?
Je crois que cette ouverture se produit à différents moments au cours de la pièce, car cette notion est présente dans ma pratique de performance. Cela ne se réduit pas aux notions de passé, de présent et d’avenir, peu importe l’ordre dans lequel on les envisage. Je prends peu à peu conscience du caractère progressif de ce que signifie « l’entre-deux », mais aussi ce que veut dire « plus », dans la mesure où dans cette manière d’explorer, les nuances s’éclairent « de plus en plus ». Je dis « nuances » parce que je crois que différents états surviennent aux frontières de ce que nous considérons comme le passé, le présent et l’avenir au sein de la performance, qui se mobilisent et se transforment ensemble pour donner lieu à un dialogue. Je pense qu’il faut explorer ces états et ces nuances. Je suis constamment en réaction à de nombreuses voix et énergies, avec une ouverture vers de nouvelles découvertes. C’est ce qui m’intéresse, comme vous l’avez dit : l’ouverture. Ouvrir, c’est dévoiler des espaces de temps qui vont au-delà d’un simple regard vers l’avenir.
J’ai l’impression que ce qui m’importe, du moins en ce moment, c’est de contempler plus profondément chaque instant, même le présent. Donc, en ce sens, je ne m’intéresse pas à un regard qui serait seulement projeté vers l’avenir, mais oui, ceci m’intéresse beaucoup. Je pense qu’il est important de souligner qu’en ce moment, je scrute tous les instants (passé, présent et avenir) de façon plus approfondie, et que ce n’est pas un découpage temporel linéaire : c’est plutôt cyclique. Il est essentiel d’envisager le temps comme un processus cyclique, et c’est cela qui est au cœur de mon œuvre Them Voices. Il s’agit d’une intersection de voix que je découvre au fil de la performance et qui traversent le temps.
Qu’aimeriez-vous nous dire au sujet de votre démarche artistique ? Est-elle différente cette fois-ci ?
Je sais que ces notions d’ancêtres de l’avenir, de lien avec les Anciens – ceux du passé comme d’aujourd’hui – et de générations multiples étaient présentes dès le départ dans mon travail. Jusqu’ici, il a surtout été axé sur l’exploration de relations et de savoirs intergénérationnels. Je suis liée à des histoires passées, aux effets dévastateurs du colonialisme, que j’ai explorés avec Phantom Stills & Vibrations, une installation-performance immersive sur les conséquences des pensionnats autochtones sur ma famille. Faisant partie de la première génération à ne pas avoir fréquenté ces écoles, je porte le fardeau de cet héritage.
Afin de pouvoir créer librement avec ce qui m’a été légué, je dois contempler et scruter le plus possible le moment présent, l’endroit d’où je viens et celui où je me dirige. J’étends tout cela dans Them Voices, tout en étant consciente du temps et de l’espace, et du fait que je dois constamment graver, regarder, contempler, rêver et imaginer de façon active. Le mouvement instinctif et la découverte de mon environnement immédiat sont des moteurs puissants de cette pièce. C’est ça qui me redonne toute mon agentivité.
Je souhaite m’aventurer plus loin dans mes migrations familiales, tout en demeurant enracinée dans les voix du futur, celles de mes enfants, pour voir ce qui existe au-delà des corps de mes grands-parents, et plus avant encore dans l’avenir lointain.
Pouvez-vous nous en dire davantage sur le processus de la création « extérieure », au jardin du MAC, et sur votre relation avec le public et l’environnement ?
Je trouve qu’on nous met énormément de pression pour être une personne forte, consciente d’elle-même et de sa volonté d’agir, plutôt que vulnérable et complexe. Ma vie privée ressemble davantage à la seconde description. Travailler dehors, en un sens, c’est ouvrir un espace de liberté pour aborder le caractère plus immédiat de mon expérience vécue, de l’environnement où je me situe, de l’histoire que je porte, en tant qu’invitée à Tiöhtià:ke. L’environnement naturel et urbain, les oiseaux, les insectes, les mauvaises herbes, le monde du ciel, le vent et l’énergie des personnes et des êtres non humains font tous partie du paysage vivant qui dialogue avec mon esprit. C’est réconfortant parce que je peux me retrouver dans un espace qui permet une création et une pratique continues. Pour la plupart de mes œuvres précédentes, mon travail de recherche et de terrain s’était déroulé dehors, donc d’une certaine façon, j’ai l’impression qu’on m’offre une plateforme de création où je me sens plus connectée, d’un point de vue énergétique et spirituel.
Mon travail se rattache toujours à la temporalité, à l’idée d’une durée qui s’étend dans l’avenir et qui puise dans la lignée du passé, perpétuelle et infinie. Le caractère imprévisible du paysage naturel et urbain ajoute des couches d’expérience supplémentaires qui animent et colorent davantage ce voyage éternel. Je m’intéresse à l’intimité de la mémoire et à sa nature transformatrice ; à la prise de conscience que nous devons regarder de plus près ce que nous avons devant nous et y percevoir les nuances ; à la façon dont le partage de mes souvenirs et des liens que je fais avec mes rêves, tandis qu’ils se déploient dans le jardin du MAC, me rend vulnérable auprès du public. C’est une réalisation qui procure davantage de forces à la lutte pour la poursuite de notre introspection.
Lisez un entretien avec Ivanie Aubin-Malo et James Oscar, dramaturges du spectacle