DE 1985 À 2006 :
LE FESTIVAL DE THÉÂTRE DES AMÉRIQUES

« Notre rêve était de fonder à Montréal un festival international de théâtre à partir des Amériques. Le plus proche est souvent le plus lointain. Notre culture théâtrale de même que nos échanges artistiques et intellectuels se sont longtemps développés dans une relation Est-Ouest, avec les mères patries.

Ça n’a rien de scientifique, mais il nous semblait que cette situation était sensiblement la même au nord et au sud des Amériques. Il devenait alors passionnant de déplacer notre regard et de voir – de manière impressionniste et fragmentaire, certes – ce que l’axe nord-sud avait à nous révéler du théâtre et du monde sur notre propre continent.

Au fil de cette traversée des Amériques, d’Inukjuak à Buenos Aires en passant par New York, Mexico, Port-au-Prince, Santiago et La Havane, nous découvrions d’autres façons d’appréhender le monde. Des humains, des visages, des cultures, des théâtres, des écritures, des pensées à l’œuvre. Nous étions bouleversés. Nous étions fascinés. »
– Marie-Hélène Falcon


L’Amérique comme une conquête de soi

Le Festival de théâtre des Amériques (FTA) voit le jour en 1985 dans un Montréal en pleine effervescence culturelle et artistique. Ses fondateurs, Marie-Hélène Falcon et Jacques Vézina, rêvent d’un événement international, éminemment urbain. Les artistes et spectateurs québécois y découvriraient des artistes phares de leur époque venus des quatre coins des Amériques alors que les créateurs québécois pourraient se mesurer, sans complexe, à des pratiques nouvelles et dialoguer avec des œuvres mues par d’autres urgences.


Le porteur des peines du monde, Yves Sioui Durand © Yves Sioui Durand

Les Amériques du Nord au Sud

Dès sa première édition en 1985, les spectacles présentés au Festival remettent profondément en question la nature, les formes et les langages du théâtre. La programmation, alors biennale, porte déjà l’esprit frondeur qui définira le FTA.

Des œuvres de résistance d’Argentine, du Brésil, de Colombie, de Cuba, des États-Unis, du Mexique, d’Uruguay, du Vénézuéla, du Canada, du Québec et même du Nord-du-Québec (Inukjuak) se côtoient dans une multiplicité de langues, d’esthétiques, de générations d’artistes.

Les arts des Premiers Peuples sont présents, témoins de cultures millénaires opprimées. Du Nord au Sud, les Amériques s’imposent comme le réservoir créatif du Festival, faisant apparaître un axe culturel souvent négligé au profit de l’Europe et des mères patries.


Un Montréal bouillonnant

Au Québec, après l’échec référendaire de 1980, l’art et la culture explosent sous toutes leurs formes. Montréal est un véritable laboratoire, les artistes s’appropriant des espaces vacants pour créer et présenter leur travail. Les Cent jours d’art contemporain et le Festival international de nouvelle danse (FIND) émergent de ce contexte bouillonnant presque au même moment que le FTA.

Délivrés de la tâche de porter un projet national et social, les jeunes créateurs de la scène renouent avec les dramaturgies étrangères contemporaines, développent un puissant théâtre de l’image – en témoignent les œuvres de Gilles Maheu et Carbone 14, et celles de Robert Lepage. Les spectateurs attendent le choc esthétique, la révélation, et sont prêts pour les aventures les plus improbables. C’est dans ce contexte d’ouverture et de vifs désirs que la première décennie du FTA fixe les attentes d’aventures déroutantes et innovantes.

Les risques de la création, un texte de Robert Lepage

Robert Lepage raconte l’annulation des Plaques tectoniques (FTA, 1989)

« À une heure du matin le 29 mai 1989, à mi-parcours de la troisième édition du Festival de théâtre des Amériques, la directrice de l’époque, Marie-Hélène Falcon, dut se rendre au cégep du Vieux-Montréal. Bien que sa journée de travail fût terminée, on l’avait informée que l’équipe des Plaques tectoniques semblait éprouver des difficultés majeures. En entrant dans le gymnase du cégep, transformé en salle de spectacle le temps du Festival, elle fut surprise de ne pas voir l’équipe s’agiter en tous sens, mettant la touche finale aux préparatifs en vue de la première du lendemain. Personne ! La scène était complètement vide !

Un piano à queue, qu’on essayait de faire voler à l’aide de gros câbles de chanvre au-dessus de la piscine, était échoué dans un équilibre précaire entre océan et continent. Marie-Hélène nous avait rejoints dans le vestiaire qui tenait lieu de loge commune. Je revois encore l’expression de son visage lorsqu’elle est entrée dans la loge : à la vue du groupe en discussion intense, elle a souri avec bienveillance et nous a demandé comment ça allait. Ça ne va pas, Marie-Hélène ! On n’a pas de show !

La tentative de fondre en une seule les cinq histoires qui composaient Les plaques tectoniques  l’année précédente au Festival de Toronto avait échoué. Nous n’avions pas assez de temps. De deux choses, l’une : ou on présentait un navet informe, ou on annulait.

Après avoir écouté l’opinion de tous les membres de l’équipe, après avoir posé toutes les questions pertinentes, après avoir envisagé toutes les options, Marie-Hélène avait pris sa décision : on annule !

À la suite de cette annulation, le FTA, fidèle à sa mission, a maintenu son soutien à notre projet, nous permettant ainsi de produire une nouvelle version dès l’année suivante à la gare Jean-Talon. Le spectacle, en constante évolution, a été vu par la suite à Québec, Glasgow et Londres, et un long métrage du réalisateur Peter Mettler a même vu le jour. »

Extrait de FTA : Nos jours de fête, 2018

 

Sur la trace des avant-gardes

« Nous n’avons jamais cherché le consensus, c’était, à notre avis, un cul-de-sac qui vide l’art de sa charge poétique et politique. D’emblée, notre intérêt allait vers ce qui crée la rupture : le marginal, la différence, le métissage, la bâtardise. Tout ce qui retrousse. “Si un son vous dérange, disait John Cage, écoutez-le.” Nous tendions l’oreille à ce qui était unique, dissonant, discordant, radical, aux artistes qui interrogeaient leur art, leur époque, qui cherchaient de nouveaux langages, d’autres façons d’habiter le théâtre, de rencontrer le public. Qu’avons-nous besoin de voir ? Qu’est-il important de montrer aujourd’hui ? À quoi devons-nous résister ? Le Festival a été un vaste chantier, en transformation permanente. »
– Marie-Hélène Falcon

 

De 1985 à 2006, le FTA ne cesse d’élargir ses frontières, jusqu’aux Amériques dites fantasmées qu’il ira débusquer dans l’altérité profonde, jusqu’en Asie ou en Afrique. La chute du mur de Berlin transforme le paysage artistique européen. Les avant-gardes venues de l’Europe de l’Est révèlent des traditions scéniques puissantes, un théâtre de la résistance, des esthétiques-chocs encore jamais rencontrées en Amérique.

Les spectateurs découvrent des relectures saisissantes des classiques, comme Les trois sœurs de Tchekhov et Hamlet de Shakespeare revisités par le metteur en scène lituanien Eimuntas Nekrosius. Par le prisme du regard des artistes, ils se frottent aux grands enjeux de l’époque, à la critique brutale de l’Amérique par le metteur en scène américain d’origine iranienne Reza Abdoh (The Hip-Hop Waltz of Euridice) ou aux guerres interethniques avec, de Belgique, Rwanda 94 du Groupov, autour du génocide rwandais.

Le FTA fait écho au monde en révélant ces nouvelles réalités, les formes et les écritures qu’elles provoquent. Théâtre documentaire, fantasmagories technologiques, œuvres expérientielles. Les frontières mises en déroute sont aussi celles des disciplines artistiques. En quelques éditions, le Festival s’internationalise et affirme son ouverture à une plus grande diversité de créateurs, sans limitation géographique ou esthétique. Le FTA est là où grondent les artistes et il est partie prenante de l’Histoire avec eux.

Théâtre du Monde et Nouvelles Scènes

À partir de 1996 et jusqu’en 2006, les années paires, le FTA présente Théâtres du Monde. Ainsi, des propositions aussi marquantes que Les plaques tectoniques de Robert Lepage, Les Atrides d’Ariane Mnouchkine ou Eraritjaritjaka, musée des phrases de Heiner Goebbels sont présentées dans le cadre de cet évènement, maintenant un rendez-vous annuel pour les spectateurs qui y retrouvent le FTA le temps d’un ou de quelques spectacles.

Ayant à cœur l’émergence de jeunes artistes et de nouvelles compagnies, Marie-Hélène Falcon crée à l’intérieur du FTA Nouvelles Scènes qui révélera, entre 1997 et 2004, une trentaine de jeunes équipes québécoises et canadiennes, en théâtre, danse et performance.

 


Générations créatrices

Soucieux de témoigner des traditions, des écoles de jeu et des courants artistiques qui animent les scènes du monde, le Festival affiche dans son programme les grands maîtres contemporains. Ainsi, les spectateurs du FTA ont eu l’occasion de voir la mythique Classe morte de Tadeusz Kantor, et de suivre l’évolution d’un artiste majeur comme Romeo Castellucci, accueilli au Festival, et pour la première fois en Amérique, dès 1997.

Sans hiérarchie aucune, ces figures consacrées côtoient des voix nouvelles et émergentes issues des scènes locales, nationales et mondiales. Ce large spectre générationnel et esthétique devient donc la marque du FTA. Les Robert Wilson, Christoph Marthaler, Meredith Monk, Elizabeth LeCompte et le Wooster Group, Anatoli Vassiliev, Peter Brook, Ariane Mnouchkine, Frank Castorf et autres créateurs majeurs de notre époque ont pu témoigner de leur vision du monde et nourrir les imaginaires des spectateurs jusqu’ici, à Montréal.

Du même élan, de grandes figures québécoises ont pris place sur cette tribune à la réputation grandissante, connaissant des trajectoires internationales des plus enviables. Les Robert Lepage, Gilles Maheu, Denis Marleau, Marie Brassard et Wajdi Mouawad, pour n’en nommer que quelques-uns, ont rencontré les publics de partout dans la foulée de leur passage au Festival.

Ils sont venus au Festival de théâtre des Amériques…

Reza Abdoh + Ricardo Bartis + Benno Besson + Marie Brassard + Peter Brook + Daniel Brooks + Romeo Castellucci + Marie Chouinard + Marie Clements + Tim Etchells + Martin Faucher + Richard Foreman + La Fura dels Baus + Rodrigo Garcia + Stéphane Gladyszewski + Heiner Goebbels + Brigitte Haentjens + Marcelle Hudon + Tadeusz Kantor + Amir Reza Koohestani + Jan Lauwers + Suzanne Lebeau + Elizabeth LeCompte et le Wooster Group + Bia Lessa Robert Lepage + Hillar Liitoja + Mabou Mines + Gilles Maheu et Carbone 14 + Denis Marleau + Christoph Marthaler + Richard Maxwell + Ariane Mnouchkine + Meredith Monk + Wajdi Mouawad + Rabih Mroué + Eimontas Nekrosius + Pol Pelletier + Alain Platel + Claude Poissant + Alice Ronfard + Jean-Pierre Ronfard + Nadia Ross + Lina Saneh + Árpád Schilling + Peter Sellars + Yves Sioui Durand + Dave St-Pierre + Julie Andrée T + François Tanguy + Anatolt Vassiliev + Krzysztof Warlikowski + Deborah Warner + Robert Wilson + Jacob Wren…

Archives du FTA 


La jeunesse au cœur du Festival

Des préoccupations de la première heure deviennent des orientations déterminantes pour le Festival : faire place à la jeunesse par des actions éducatives et participer avec énergie au développement des pratiques artistiques.

Dès la toute première édition du FTA en 1985, une délégation internationale d’une quinzaine de jeunes créateurs de théâtre se réunit à Montréal pour découvrir de nouvelles démarches et échanger sur leurs pratiques. Ces Rencontres internationales des jeunes professionnels des arts de la scène deviennent un rendez-vous incontournable où des centaines de jeunes professionnels de la scène forgent leur regard sur la création.



The Urban Dream Capsule, FTA 1999

À nous la ville !

« Le Festival a toujours été fabuleusement urbain. Une occasion de faire voir et de faire vivre la ville autrement. Nous sentions qu’il fallait sortir des théâtres. Investir les places publiques, les lieux oubliés, les lieux de mémoire… À nous la rue ! À nous la ville ! Nous avons découvert des espaces inédits, des lieux mystérieux, abandonnés, à faire revivre pendant quelques semaines. Choisir avec les artistes des lieux inspirants, symboliques, pour y créer ou recréer leur spectacle, donnait pleinement sens à leur démarche. Trouver le bon endroit, l’espace juste, avait quelque chose d’exaltant, parce que la portée et la réception de l’œuvre étaient en jeu. »
– Marie-Hélène Falcon

 

Dès sa première édition, le FTA sort des théâtres pour réinventer le rituel du spectacle in situ ou dans des lieux spécialement aménagés.

Avec Le porteur des peines du monde d’Yves Sioui Durand, il s’installe dans un terrain vague à l’angle de la rue de Bleury et du boulevard de Maisonneuve. Pour le Titanic de Jean-Pierre Ronfard et Gilles Maheu, c’est une cour de ferraille entre une voie ferrée et le Carmel qui devient le paysage dévasté du naufrage. La création de La trilogie des dragons de Robert Lepage appelle un lieu monumental et improbable : le Hangar no 9 dans le port de Montréal surprend les spectateurs de cette aventure. Quand Ariane Mnouchkine et le Théâtre du Soleil débarquent pour célébrer le 350e anniversaire de Montréal en 1992, l’aréna Maurice-Richard accueille la troupe et se métamorphose en maison de théâtre.

Au fil des éditions, des aventures de création d’envergure prennent d’assaut l’espace public, surprenant les spectateurs et simples passants par une poésie qui fait voir la ville autrement.

Au nombre de ces expériences, The Urban Dream Capsule de l’Australien Neil Thomas, présentée en 1999, marque la mémoire des citadins. Pendant les deux semaines du Festival, quatre hommes au crâne rasé s’installent dans les vitrines du magasin La Baie, au centre-ville de Montréal.

Dans cet habitat construit sur mesure, ils vivent, jouent, travaillent, présentent à l’occasion des numéros préparés. Et surtout, ils communiquent, sans paroles et avec toute la générosité possible, avec les spectateurs massés devant la vitrine et les passants interrompus dans leur course. Vivarium humain, bulle de rêve et refuge quotidien, cette proposition déjoue les habitudes du spectacle vivant en s’insinuant dans le parcours des Montréalais, de jour comme de nuit, à la manière vive et surprenante qu’encourage le FTA.

De l’aventure du FIND au nouveau FTA

De 1985 à 2003, parallèlement au Festival de théâtre des Amériques, le Festival international de nouvelle danse creuse lui aussi son sillon dans la métropole québécoise. En décembre 2003, le FIND cesse ses activités. Orphelin d’un événement international, le milieu de la danse contemporaine montréalais appelle de ses vœux la fondation d’un nouvel événement pour soutenir le développement de cette discipline. Le Festival de théâtre des Amériques, avec sa conception étendue de la création scénique, propose d’assumer ce mandat, plaçant à égalité danse et théâtre au cœur de sa programmation.

La création contemporaine telle que le Festival la conçoit puise aux langages des arts sans limitation ni catégorie. À l’image des scènes du monde, le théâtre, la danse et la chorégraphie se côtoient, s’influencent mutuellement ou affermissent leurs spécificités au contact de l’autre. Les langages des arts visuels et de la performance, du cinéma et de la musique irriguent la création scénique. Le texte, la parole et la littérature n’appartiennent plus seulement au théâtre, en sont même parfois évacués ou décentrés au profit d’autres langages. Les états de corps et de présence, de même que la performance, élargissent la notion de mouvement et de chorégraphie permettant à d’autres danses de voir le jour.

Dans ce contexte de métissage et de cohabitation des arts favorisé par le Festival TransAmériques, les spectateurs osent plus franchement la fréquentation des arts vivants sans discrimination de discipline. Les communautés artistiques, elles, circulent plus naturellement d’une forme à une autre, d’un art à l’autre ; les artistes enrichissant leur vocabulaire à travers la découverte de nouveaux langages. Au final, les arts dans leur fondement s’en trouvent rehaussés.


DE 2007 À AUJOURD’HUI :
FTA = Danse + Théâtre

« Transculturel, transdisciplinaire, transfrontalier, ce nouvel événement en danse et en théâtre s’inscrit tout naturellement dans un mouvement initié dans le passé et qui, à l’avenir, continuera de nous entraîner ailleurs, dans un esprit de renouvellement permanent. À l’heure où l’impureté et le mélange, l’échange et la circulation caractérisent les pratiques scéniques, nous allons là où nous porte la création contemporaine, dans la voie des mutations et des rencontres. »
– Marie-Hélène Falcon, programme officiel du FTA 2007

 

La décennie qui suit ouvre la porte à une nouvelle génération de créateurs, tout en poursuivant le parcours d’artistes devenus phares et bénéficiant de publics attentifs. Les chorégraphes Daina Ashbee, Frédérick Gravel, Dana Michel, Benoît Lachambre, Daniel Léveillé et Louise Lecavalier côtoient les artistes de théâtre Marie Brassard, Christian Lapointe et Olivier Choinière.

Les artistes internationaux rencontrent d’un même élan les publics d’ici, la puissance de l’œuvre scénique étant résolument mise au-devant des habituelles frontières disciplinaires : la chorégraphe portugaise Marlene Monteiro Freitas, Matija Ferlin, figure émergente de la scène des Balkans, l’artiste espagnole Angelica Liddel et les metteurs en scène phares des scènes européennes Thomas Ostermeier, Ivo Van Hove et Krystian Lupa sont au rendez-vous.


Une transition sous le signe de la transmission

En 2013, le FTA remporte le 28e Grand Prix du Conseil des arts de Montréal, en reconnaissance de son importance dans le paysage des arts de la métropole. En juin 2014, la fondatrice Marie-Hélène Falcon cède les rênes de la direction générale et artistique, appelant un nouveau leadership pour que se poursuive l’aventure du FTA. Une nouvelle codirection générale prend alors le relais.

Fort d’une collaboration de huit années à titre de conseiller artistique du FTA, le metteur en scène Martin Faucher assume dès lors la direction artistique, aux côtés de David Lavoie à la direction administrative. Ensemble, ils incarnent un souffle nouveau et portent le projet de pérenniser cette institution importante pour les écologies nationales et internationales de la danse et du théâtre contemporains.


Tauberbach d’Alain Platel, FTA 2015 © Chris Van der Burght

Une célébration pour tous

Première édition signée par Martin Faucher, le FTA 2015 s’ouvre sur les Dancing Grandmothers de la chorégraphe Eun-Me Ahn, star excentrique de la scène sud-coréenne. Sur le plateau, une douzaine de grands-mères et neuf jeunes interprètes dansent avec une joie contagieuse. Ce spectacle généreux et festif se termine par un rassemblement exaltant, réunissant artistes et spectateurs sur le plateau. Il donne le ton au mandat de Martin Faucher, véritable main tendue aux spectateurs de tous âges. La joie, la beauté, la poésie et le plaisir extatique de la danse seront convoqués annuellement.

Dans cette même édition figure le Tauberbach d’Alain Platel, artiste régulièrement convié au FTA, fidélité réaffirmée qui crée un pont symbolique entre les directions artistiques.

Le grand marathon Artaud : Une veille poétique radicale

Tout Artaud ?! En mai 2015, à La Chapelle Scènes Contemporaines, Christian Lapointe se lance le défi de lire à haute voix devant public l’intégrale des écrits d’Antonin Artaud. Le matin du samedi 23 mai à 7 h, il entame la lecture sans s’arrêter, ou presque, le jour comme la nuit. Les spectateurs peuvent aller et venir à leur guise. Le coût d’entrée est symbolique : une fleur, à déposer sur la scène. La durée de la visite est sans limites. Certains restent des heures, d’autres reviennent plusieurs fois. Le mardi 26 mai à 2 h 45, au bout de 57 heures et 36 minutes, la performance se termine. Lapointe a lu 2 528 pages des 28 tomes de l’œuvre du poète. Au fil des heures, les fleurs et les accessoires ont empli la scène, érigeant un mausolée vivant, performatif, à l’artiste radical qu’était Artaud.

 


Gala, FTA2016 © Sandrick Mathurin

10e édition du Festival TransAmériques

La transformation est au cœur du FTA. Au terme de 10 ans de refondation, en 2016, le Festival confirme ce mouvement par la présence d’artistes majeurs du théâtre et de la danse, autant de talents confirmés que de créateurs à découvrir.

Les metteurs en scène Denis Marleau ou Christoph Marthaler, invités à l’époque du Festival de théâtre des Amériques, côtoient la grande danseuse et chorégraphe Louise Lecavalier, dont le FTA accompagne les créations depuis 2008. Une nouvelle génération d’artistes s’impose avec force : la chorégraphe canadienne Amanda Acorn, la metteure en scène française Julie Duclos, le metteur en scène québécois Maxime Carbonneau, et la comédienne québécoise Christine Beaulieu, au cœur d’un théâtre documentaire remarquable : J’aime Hydro creuse la relation ambiguë qu’entretiennent les Québécois envers cette société d’État et attise la flamme citoyenne.

En clôture de cette édition anniversaire, Gala du chorégraphe Jérôme Bel célèbre de manière décomplexée et jubilatoire le plaisir de la danse pour tous, avec une vingtaine de citoyens, danseurs et non-danseurs de tous âges, bravant la scène. Plus que jamais, le FTA convie artistes et public à célébrer la puissance de l’art pour reconsidérer le monde et le changer.


Fabuleusement urbain

Profitant des célébrations du 375e anniversaire de la ville, l’édition 2017 du FTA place Montréal en son cœur. La programmation ouvre à un questionnement de notre vivre-ensemble, s’intéresse aux Montréal des quartiers, des individus et des communautés, et à leurs contradictions.

Ainsi, 100 citoyens montent sur scène dans 100 % Montréal, portrait vivant et interactif de la ville, orchestré par le collectif allemand Rimini Protokoll. Sept auteurs aux horizons et aux plumes contrastés visitent sept quartiers de Montréal pour composer Jusqu’où te mènera Montréal ? mis en scène par Martin Faucher. La danseuse et chorégraphe Jocelyne Montpetit invite une quinzaine de spectateurs à la fois à la suivre sur la pointe des pieds dans la maison de son enfance pour une visite chorégraphique chargée de mémoire.

Les célébrations se concluent dans l’apothéose avec 375 danseurs réunis sur la place des Festivals par Sylvain Émard pour Le super méga continental. Cette édition vient réaffirmer le caractère urbain du FTA et son enracinement profond dans un Montréal contemporain et cosmopolite, terreau fertile, à réactualiser sans cesse.


La trace d’une histoire en marche

En mai 2018, un premier livre retrace la longue et riche histoire du FTA. Composé de récits et témoignages d’artistes et d’observateurs de la scène d’ici et d’ailleurs, l’ouvrage revient sur les éditions passées tout en maintenant active la quête inlassable d’un art au présent, essentiel et vibrant. Débats esthétiques et politiques, réflexions philosophiques, FTA : Nos jours de fête annonce déjà les festivals à venir.

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2020 : l’édition qui n’aura pas lieu

Depuis la fondation du FTA en 1985, les printemps montréalais vibrent au rythme du Festival. Avec la danse et le théâtre en guise de passeports, des artistes de tous les continents y convergent pour enrichir le public d’ici. Mais ce printemps 2020 n’est pas comme les autres, puisque que le monde traverse alors une crise sanitaire sans précédent causée par la pandémie de COVID-19. La 14e édition du FTA doit donc être annulée.

Mais parce que la vie est là, malgré tout, le FTA trouve les moyens d’être là aussi, autrement. Il innove et lance le balado Habiter la vie, comme une offrande pour nourrir cette parenthèse subite et imposée. Réalisé par Antoine Bédard et Jessie Mill, les quatre épisodes proposent des conversations inspirantes avec des sages québécois pour faire résonner les idées et agiter doucement la pensée.

En parallèle, Martin Faucher se livre comme jamais dans La vie est là (carnets), une série de textes où il évoque les spectacles qui constituaient la programmation 2020 et entraîne le lecteur dans les coulisses de son travail de prospecteur des arts vivants. Rare incursion dans un métier fascinant, il nous raconte avec le vif esprit qu’on lui connaît les trajectoires inédites de ses rencontres avec les créateurs et créatrices des spectacles qu’il souhaitait rassembler cette année.

Les festivalier·ère·s se racontent

Puisque nous n’avons pas eu la joie de nous réunir autour de la parole ou des corps des artistes au FTA 2020, nous avons invité le public du Festival à nous livrer leur expérience la plus marquante vécue au FTA depuis sa création en 1985 : le premier spectacle, le choc d’une œuvre hors du commun, la découverte d’un artiste, un instant inoubliable…

À travers leurs souvenirs, leurs mots et leur regard unique de spectateur ou de spectatrice, la puissance incomparable des arts vivants et du FTA prennent vie.

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jeanne_dark, Marion Siefert, FTA 2021 © Matthieu Bareyre

Martin Faucher tire sa révérence

En septembre 2020, Martin Faucher annonce qu’il quittera ses fonctions à l’issue de la 15e édition. Après 15 ans au FTA dont 7 à la direction, il souhaite qu’un regard neuf puisse se poser sur la création et affirme qu’il est sain de laisser place à un renouvellement dans nos institutions. Ainsi, le Festival peut amorcer une nouvelle étape et imaginer une autre façon de raconter le monde.

Comme un ultime geste de bravoure, un pied de nez à l’adversité, Martin Faucher imagine un dernier FTA ambitieux, avec une programmation majoritairement québécoise et canadienne, puisque les artistes internationaux ne peuvent toujours pas voyager en raison de la pandémie. Pour la première fois, le FTA offre des spectacles en webdiffusion et sur Instagram (_jeanne_dark_ de Marion Siéfert). Il rejoint ainsi quelques centaines de spectateurs hors-Montréal. Depuis la fermeture des lieux culturels, le FTA est le premier grand festival à se tenir en 2021, après des mois de confinement et de suspension des événements culturels.

Sous l’impulsion de Martin Faucher, le FTA a affirmé son ancrage montréalais et développé son rayonnement international, notamment grâce à des investissements dans des coproductions nationales et étrangères. Engagé auprès des communautés de la danse et du théâtre, le FTA investit depuis 2007 une moyenne annuelle de 100 000 $ dans la coproduction d’une dizaine de spectacles.


Un duo de femmes à la tête du FTA

Un duo de femmes est nommé pour succéder à Martin Faucher : la luxembourgeoise Martine Dennewald quitte le Festival Theaterformen en Allemagne qu’elle dirige depuis 2014 pour rejoindre Jessie Mill, qui fut la dramaturge et conseillère artistique du Festival de 2014 à 2021. Voix féminines de deux continents, elles prennent la codirection artistique de l’événement à l’été 2021, tandis que David Lavoie devient le directeur général.

Les respirations du fta, de l’air pour les artistes

À l’automne 2020, en solidarité avec un milieu précarisé par la pandémie, le Festival met sur pied Les Respirations du FTA, un nouveau programme de soutien qui offre à une quarantaine de créatrices et créateurs du temps et de l’espace pour se remettre au travail.

En 2021, le FTA réaffirme son désir d’accompagner la création et d’encourager l’expérimentation et consolide les Respirations en tant que laboratoire de recherche et de développement des pratiques artistiques. Il contribue ainsi activement à la relance des arts et œuvre à la fortification d’un écosystème artistique fragile mais essentiel à l’ensemble des citoyen·ne·s.

Les Respirations permettent désormais de soutenir les créatrices et créateurs en amont de la présentation des œuvres, durant une phase de recherche ou dans la maturation de leurs démarches.

 


Faire un Festival, prendre part au monde

Le projet de festival conçu par ces programmatrices visionnaires et spectatrices ferventes travaille avec la durée. Celle, courte et dense, de l’événement printanier, mais aussi le temps patient de la relation et de la construction. Leurs affinités artistiques les incitent à aborder des territoires géographiques et esthétiques inattendus. Leur familiarité avec les scènes internationales et l’évolution des disciplines à Montréal les encourage à célébrer une pluralité de définitions du contemporain, à aménager de l’espace pour des conversations au long cours. Ensemble elles interrogent la place du Québec dans ses relations avec le monde et souhaitent réengager une conversation avec les communautés artistiques des trois Amériques, de l’Alaska à la Terre de feu en passant par l’Amazonie.