Public, échauffe-toi !

Après la disparition brutale de Béatrice, elle se rend auprès de la chorégraphe et pédagogue Germaine Acogny au Sénégal avant de s’installer en France, à Montpellier, pour suivre le Master exerce, alors dirigé par Mathilde Monnier. Elle crée ensuite ses propres travaux tout en dansant les dernières pièces du chorégraphe Alain Buffard (décédé en 2013), dont la rencontre sera plus que marquante. Son premier solo d’envergure, Quartiers libres, acte fondateur d’une prise d’espace a fait du bruit et tourne toujours.

Si Nadia Beugré monte sur un plateau, c’est pour dire des choses, remettre en question, lever des tabous. Son engagement en tant que femme est habité par la Marche des femmes sur Grand-Bassam (1949), évènement historique, mouvement de soulèvement en Côte d’Ivoire pour la libération de leurs époux emprisonnés par les autorités coloniales, que l’on retrouve dans sa pièce Legacy (2015). Cet état de lutte, ce courage et cette mise à nue sont les moteurs de la chorégraphe. En créant l’association Libr’Arts, Nadia Beugré souhaite tisser des liens entre notamment la France et la Côte d’Ivoire. Elle vient de mettre en place un projet de formation pour les jeunes femmes ivoiriennes, afin de créer un espace de création, de prise de parole, de visibilité et de liberté. La détermination de Nadia Beugré n’a pas de frontières.

Le festival biennal du même nom devient rapidement l’un des plus importants événements de théâtre de l’Afrique francophone. À compter de 2014, sa carrière de comédien prend son envol en Afrique et en Europe avec la création de M’appelle Mohamed Ali de Dieudonné́ Niangouna et de Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire. Ces deux solos sont suivis d’un autre en 2017 : Si nous voulons vivre, un collage de chroniques et d’entretiens de Sony Labou Tansi. Il crée Traces – Discours aux Nations Africaines en 2018 à l’occasion de l’inauguration du Musée des civilisations noires à Dakar.

Un présent inévitablement façonné par l’Histoire, dont elle interroge les représentations. Elle s’attelle par exemple au dossier international appelé Question de Palestine dans décris-ravage (2011-2016), qui récolte le Prix de la critique belge en 2014 et le Prix SACD catégorie « Découvertes » en 2016. Rosenstein et ses comédien·ne·s tentent d’évacuer l’esthétisme, afin d’accueillir la contribution de l’imaginaire du public et lui faire deviner comment historien·ne·s, sociologues, journalistes et témoins « mettent en forme » leurs connaissances. À partir d’archives ouvertement affichées comme lacunaires et parfois rapiécées, leur groupe vise à mettre au jour et à comprendre les obstacles rencontrés par celles et ceux qui luttent pour le changement, obstacles mis en place par la petite frange qui profite, voire s’accommode, de l’état du monde.

Diplômée en jeu de l’école Nissan Nativ de Jérusalem et en mise en scène de l’École supérieure d’art dramatique Ernst-Busch de Berlin, Adeline Rosenstein s’établit à la fin des années 2000 à Bruxelles, où elle œuvre en tant que metteuse en scène, dramaturge, traductrice, comédienne et autrice — notamment d’une comédie pour jeune public d’après l’Orestie, Détester tout le monde (2019) —, et de pièces radiophoniques.