« Vide », « Affadissement », « Dissoudre » : les titres de vos pièces renvoient souvent à une poétique de l’érosion et de la décroissance. En quoi votre travail actuel s’inscrit-il en continuité ou en rupture avec un imaginaire plus minimaliste ?
D’abord, il faut savoir que je ne pars jamais d’un thème ou d’un sujet en particulier lorsque je commence un travail. En studio, je suis plutôt à l’écoute des élans qui s’imposent, de ce qui se trame dans les corps.
Il y a un an, le retour en répétition a été un moment euphorique d’une grande plénitude. Nous étions remplis de gratitude de pouvoir enfin nous retrouver ensemble. Afin de préserver l’essence de cette rencontre, et parce que nous ne pouvions toujours pas entrer en contact, nous avons commencé à explorer d’autres formes de connexions et de résonances. Le but était de réinvestir autrement cette distance qui nous séparait. Nous avons même fait quelques explorations sur la télépathie. Nous étions vraiment à la recherche d’une forme d’élévation spirituelle, d’un désir d’entrer en contact avec l’invisible.
Cette quête est arrivée par la force des choses, ce n’était pas un choix délibéré. Et jusqu’à tout récemment, j’étais tout à fait convaincue que ça allait persister dans cette voie, c’est-à-dire dans cet état d’esprit minimaliste qui cherche à capter les mystères de l’existence.
Cela dit, en cours de route, mon état d’esprit a changé et la violence du monde est revenue me heurter de plein fouet. D’autres nécessités sont alors apparues… dont celle de faire jouer du Death metal à tue-tête et d’en jouir pleinement.
Comment passe-t-on d’un désir de contemplation et d’élévation de l’âme à la densité criarde et agressive du Death metal ?
C’est que nous nous sommes fait prendre au jeu de cette abstraction chorégraphique plus méditative et contemplative. Au jeu d’une esthétique bienveillante qui colle beaucoup à notre époque aussi. Je m’explique. Il était important pour moi d’inscrire ce geste chorégraphique dans une épuration et une économie du mouvement.
J’ai donc développé une partition graphique complexe à partir de gestes très simples, quasi mécaniques. À un certain moment, les danseurs et les danseuses se rejoignent au centre pour former ce qu’on appelle le tourne-disque. Il s’agit d’une figure collective en kaléidoscope où iels tournent ensemble de manière récurrente et systématique.
Sur le coup, je n’avais pas pris conscience du niveau de difficulté de cette partition en apparence très inoffensive. En réalité, c’est une véritable épreuve mentale (surtout pour la mémoire) et physique. Il y a aussi une forme d’injustice qui s’installe entre les performeurs et les performeuses. Celleux en marge du centre doivent déployer le double d’effort pour maintenir l’unité collective. À un certain moment, on dirait des chevaux de course prêts à tout donner pour réussir. Il y a là une tension entre le véhicule euphorisant dans lequel iels se trouvent, et la mise à l’épreuve assez violente de leur corps qui s’obstine à se conformer pour maintenir la cohésion d’ensemble. Il y a, bien sûr, quelque chose d’absurde dans tout ça. Iels sont pris dans la machine en même temps qu’iels sont la machine. Le jeu simple devient vite une obligation du jeu. Alors lorsque je suis arrivée avec du Death metal en répétition, nous avons tous et toutes éprouvé un immense soulagement. Une jouissance cathartique.
J’entends ici la tentative de se libérer d’une forme de pression, d’une tension qui s’est accumulée dans les corps. À quoi réagit Les jolies choses exactement ?
Probablement aux faux-semblants. À la friction entre les idéaux collectifs dans lesquels on se projette et la réalité du milieu artistique actuel. La pièce réagit peut-être à l’idéal du vivre-ensemble versus la difficulté d’effectuer cette tâche illusoire.
Quand je pense à cette friction, la société du spectacle me saute en plein visage. Je suis en réaction face à moi-même aussi. Face aux efforts que je dois déployer pour maintenir mon identité artistique et mes propres idéaux. Je me sens fortement en réaction vis-à-vis le fait de se fondre dans le moule du système pour plaire ; au principe de séduction et aux attentes du spectaculaire.
Je ressens le désir de sortir d’une forme de complaisance en coupant les ficelles, quitte à courir le risque de déplaire. Il y a une colère nourricière qui anime la pièce ; un instant de révolte presque adolescent ; le désir de se réapproprier son autonomie et sa liberté de création se font entendre.