Votre œuvre rend hommage au Festival des arts de Chiraz, qui a duré de 1967 à 1977, mais elle est aussi très abstraite. Comment avez-vous travaillé ce lien ?

Le processus de création a duré deux ans. Nous avons commencé par nous imprégner de ce qu’il restait du festival, notamment en apprenant les danses dont nous avions des archives. Il y avait des œuvres de Maurice Béjart, de Merce Cunningham, de kathakali, du Ballet national algérien… Nous n’avions aucune intention de les utiliser sur scène. C’était une façon de développer une conscience du festival, d’intégrer une gestuelle dont on ne savait pas ce qu’on en ferait. Je suppose que nous cherchions à établir une relation avec l’événement. À un moment donné, l’idée a émergé d’une main placée face au visage (les raisons de ce choix nécessiteraient toute une autre discussion !). Ce geste est devenu le pilier d’un vocabulaire qui s’est créé autour de manière presque artisanale en travaillant la physicalité, en cherchant la musicalité, les volumes, les attitudes, en observant comment les articulations pouvaient travailler… L’idée était de créer une mémoire du festival, de fabriquer une danse dont on imaginait qu’elle aurait pu y être présentée.

Il faut comprendre que cette pièce est à la fois une œuvre chorégraphique et la renaissance d’un autre événement. Elle se déroule en quelque sorte dans l’ailleurs de cet événement au moment même où on la regarde. Car il y avait la prémisse conceptuelle du renouveau du Festival de Chiraz et le potentiel d’expérience à vivre pour le public derrière les idées. J’ai dû faire d’incessants allers-retours pour comprendre le lien que l’on traçait entre cet événement historique et ce que l’on produisait. Était-on en train de créer un portrait, une description, une représentation ? J’ai réalisé que je ne trouverais jamais de réponse fixe à cette question et que ce serait probablement au public de construire cette relation entre ce qu’il verrait et ce que la pièce propose d’être. Je ne voulais pas non plus prendre la responsabilité d’y répondre trop clairement. Alors j’ai intégré mes réponses dans différents éléments de la pièce.

De quelle façon avez-vous tracé ce lien entre l’histoire et l’abstraction ?

Par exemple, les danseuses et les danseurs ont des formations différentes et je les ai considérés comme différentes œuvres du festival. Un des résultats intéressants pour moi est d’avoir fait apparaître un groupe avec un vocabulaire partagé, mais des individualités très visibles. Il ne constitue pas une communauté, mais crée un potentiel d’être-ensemble. Ça a un rapport avec le festival qui avait confiance en l’autonomie des œuvres qu’il programmait et en cette capacité de générer ensemble quelque chose dont on n’avait pas forcément d’idée préconçue.

Autre exemple, les déplacements façonnent une série de formes très précises. Nous avons cherché comment générer des possibilités de relations sans que les gens soient dans des formations dictées, mais plus dans un passage à traverser ensemble. Ce rapport à l’espace que nous avons cultivé a aussi un lien avec le festival qui, pour créer des convergences entre les œuvres et les publics, les diffusait dans des endroits inhabituels, très proches les uns des autres. Cela a généré en moi l’idée que l’espace devait être fluide, avec des déplacements qui peuvent sembler aléatoires et dessinent des constellations.

Comment la diversité des esthétiques présentées au Festival de Chiraz a-t-elle finalement influencé le langage chorégraphique ?

Mon travail passé sur l’internationalisme se retrouve beaucoup dans la pièce. Je suis intéressé par les cadres qui permettent de créer de nouveaux langages chorégraphiques. Je voulais qu’il n’y ait pas de forme d’identification possible de la pratique présentée, qu’il soit impossible de dire si la danse vient d’Iran, si elle est folklorique ou autre. Je voulais ainsi éviter les lectures trop faciles et qu’on puisse interpréter la pièce à partir d’un prisme ethnographique ou stylistique. J’ai remarqué que les personnes issues d’un contexte hors d’Europe, y compris moi-même, sont souvent perçues uniquement à travers le prisme de leur culture ou de leur histoire personnelle. Je cherche donc un moyen d’échapper aux cadres d’analyse établis pour les œuvres des personnes de couleur et d’éviter que la danse ne soit uniquement au service de la réaffirmation de l’individu.

Car je ne danse pas pour être visible et la danse ne doit pas nécessairement confirmer quoi que ce soit me concernant. Ce que j’aime dans la danse, c’est qu’elle me permet de me cacher, de disparaître. Elle m’offre donc une possibilité d’empowerment non pas par l’apparence, mais par la disparition. C’est d’ailleurs de ce désir d’affirmation qu’a émergé le geste récurrent de la main devant le visage.

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