La personnalité de vos interprètes, leur énergie et leur expérience vous servent de matière première. Qu’est-ce qui vous a amené à travailler avec Walid Hammani ?

Walid et moi, nous nous connaissons depuis l’adolescence. Et je pense que je n’ai jamais vu personne qui aimait autant danser que lui ! Quand je vais dans des événements ou dans des clubs, Walid est toujours là, en train de danser sans s’arrêter pendant des heures. Même quand il a dit qu’il ne danserait pas ce soir-là ! C’est quelqu’un de très actif et je pense que la danse lui permet de canaliser tout ce qu’il vit.

À ses débuts, sa danse était plutôt éparpillée. Alors que sa personnalité se dépose, qu’il apprend à être plus attentif et plus calme, on dirait que sa danse évolue dans le même sens. Avec Millepertuis, j’avais envie de suivre ce chemin entre deux extrêmes : du bouillonnement d’énergie au calme, du besoin constant de connexion à l’autre vers le sentiment d’être déposé en soi. Je tente de montrer la beauté de ces deux pôles. La pièce suit une courbe énergétique et émotionnelle qui monte et redescend. Il n’y a pas de thématique précise ; plutôt, c’est une énergie qui fluctue.

Walid vient du popping, une danse de rue qu’il a perfectionnée et pour laquelle il est reconnu ici comme à l’international. Comment avez-vous combiné son style et vos influences ?

Walid faisait d’abord de l’électro (auparavant appelée à tort la Tecktonik) puis il a dansé tous les styles de street dance. Le popping est une danse qui exige une précision et un relâché en même temps. Elle lui a permis de recentrer sa danse et il est devenu vraiment bon. Il se taille maintenant une place parmi les meilleurs de ce style. Comme je travaille à partir d’improvisations structurées et que je suis curieux de toutes les formes de street dance, je suis enthousiaste à l’idée d’interagir avec des artistes qui incarnent différents vocabulaires. Et j’ai beaucoup vu Walid danser, je connais très bien sa danse.

Même si, dans un battle, c’est chacun pour soi, la danse existe et prend toute sa valeur avec la présence des autres. Elle est sociale et collective. Pourquoi avoir choisi le solo ?

Pour plusieurs raisons. D’abord Walid est un grand soliste de nature. Dans mes deux dernières créations, j’essayais de cacher les artifices du théâtre pour partager une expérience avec le public. Avec Millepertuis, j’ai eu envie d’assumer tout ce que la boîte noire offre comme possibilités. Il y a quelque chose de plus narratif cette fois, avec un personnage, des éclairages qui découpent l’espace et créent une distance. Je trouvais que le solo était une bonne manière d’assumer cette théâtralité. Et je sais que Walid peut occuper la scène pendant une heure. C’est un marathonien !

J’ai l’impression que vous prenez plaisir à déconstruire le rythme. Vous installez un temps qui force le regard et nous amène à voir les choses autrement.

Il y a beaucoup de gens qui me disent que je ne devrais pas travailler comme ça, mais je me projette énormément dans le public et j’ai envie de garder son attention. Pour avoir dansé dans différents contextes, je sais aussi qu’en tant qu’interprète, on a besoin d’un certain temps pour arriver à des états précis. Je m’efforce, en créant, de penser à cet équilibre entre le regard du public et les besoins de l’interprète. J’imagine un vacillement entre tension et résolution, ambiguïté et clarté. Je cherche à tirer le public sur le bout de sa chaise pour ensuite lui permettre de se redéposer sur son dossier.

Empathie, générosité et bienveillance se dégagent d’ailleurs de vos pièces précédentes. Millepertuis s’inscrit-elle dans cette continuité ?

Quand je crée, l’expérience que vit l’interprète est primordiale pour moi. Parce que c’est ce qui me touche le plus quand je regarde une personne danser. Plutôt que de créer une image, j’essaie de partager une émotion. Si cette émotion est vécue pour vrai, le public peut la ressentir. J’aime bien parler de réception empathique. Le rythme, la longueur des sections, l’éclairage et la dramaturgie sont autant de façons de diriger le regard du public pour lui donner accès à ce que vit l’interprète. Je ne fais pas un travail provocateur et je ne cherche pas à susciter un sentiment d’inconfort. Au contraire, je tente de créer un maximum de confort pour que la personne qui regarde se sente bien accueillie. Dans mes dernières pièces, j’ai voulu créer des environnements chaleureux avec des scénographies accueillantes, ou encore, en offrant des biscuits, du thé. Cette fois-ci, j’essaie d’épurer les artifices, pour transmettre le sentiment d’accueil et de générosité uniquement à travers l’interprète.

Vous avez participé à la populaire compétition de danse télévisée Révolution. Y a-t-il une différence pour vous entre cette expérience, la création d’un spectacle pour le FTA et un battle de breaking ?

Pour moi, un battle, c’est différent. Ce n’est pas de la création, c’est plus social. Je vis cette expérience avec plein d’autres danseur·euse·s. Mais étonnamment, mon processus de création pour des numéros de 1 min 30 s à Révolution est très semblable à celui pour la création d’un spectacle d’une heure. Le contexte et le format sont différents, bien sûr, mais, dans les deux cas, je tente de trouver comment partager l’amour de la danse, une expression authentique de soi et un certain sens de l’humour. Je pars toujours du contexte et j’essaie de comprendre ce qu’il implique.

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