Le point de départ de ce projet est une histoire très intime. Qu’est-ce qui vous a motivé à partager la scène avec d’autres personnes ?

Ce projet interroge intrinsèquement l’idée de collaboration et la manière de poursuivre une relation avec une personne qui n’est plus là. Peu après la mort de Jeremy Gordaneer en Colombie-Britannique, je suis revenue à Montréal, car j’avais besoin d’être proche de ma communauté. Rachel Harris, amie et très proche collaboratrice, m’a rapidement proposé de retourner ensemble en studio, c’est-à-dire de nous retrouver dans un espace familier de travail et de recherche, où l’on peut s’écouter, se soutenir, un espace pour de soutien pour mon processus de deuil. Au même moment, je lisais le livre Performing Mourning du dramaturge Guy Cools, qui traite de la manière dont les arts performatifs peuvent permettre de métaboliser le deuil, en particulier dans notre culture où le deuil reste souvent caché. C’est de ces deux événements qu’est né Un-nevering.

Je ne souhaitais pas faire un projet autobiographique. La présence de Rachel Harris et d’Elinor Fueter m’a aidée à rend le processus moins personnel, plus collectif. Nous avons entre nous une longue histoire de collaboration, de pratique et de confiance, et elles avaient déjà rencontré Jérémy, ce qui était important. Par leur présence dans l'œuvre, elles sont devenues des sentinelles qui ont gardé l’espace et veillé sur lui pour moi. Leur rôle s’inspire du keening, cette tradition celtique de lamentation vocale faite par les femmes pour les morts, qui accompagne le de deuil.

La pièce propose une écriture spatiale et sonore en lien avec le mouvement et le poids des objets. Comment avez-vous choisi ces objets ?

Je travaille depuis longtemps avec des objets. Inspirée par la philosophie néo-matérialiste, je considère que les objets ont une certaine agentivité en tant que matière vibrante. Mon travail consiste à écouter ce qu’ils ont à dire et non à leur imposer ma volonté. En ce sens, je ne pourrais pas dire que je les ai choisis, mais plutôt que ce sont eux m’ont le plus souvent choisie. J’appelle cela « le clin d’œil des objets ». Par exemple, les boules noires, que j’utilise aussi dans d’autres pièces, appartenaient à ma grand-mère. Elles portent donc en elles des traces, des histoires.

Avant son décès, Jeremy travaillait sur une installation intitulée Poids et mesures,qui utilisait des cordes et des poulies et dans laquelle des objets déplaçaient d'autres objets, ce qui m'a également inspiré.

Je conçois les objets comme nos partenaires. Ils nous demandent une certaine forme d’attention et de soin. Nous les écoutons et ils nous guident. C’est une conversation… qui nous permettent de nous décentrer de nous-même, puisque nous partageons le même espace.

À travers cette conversation que vous entretenez avec les objets, pourrait-on parler d’une expérience de la spiritualité ou d’une relation avec l’invisible ?

La spiritualité revêt tant de significations différentes qu’il me paraît délicat d’utiliser ce mot. Il se peut que certaines personnes vivent une expérience spirituelle avec ce projet et d’autres, non. Mais ce n’est pas à cela que j’invite explicitement le public, je ne souhaite pas créer d’attentes. Je parlerais davantage de présence et d’absence, de ce qui nous rapproche ou nous renvoie à la question de l’invisible. Qu’est-ce qui rend présente l’absence et inversement ? Les deux ne sont-elles pas intrinsèquement liées ? Un-nevering est la tentative de continuer à être en relation malgré l’absence. Et, oui, bien sûr, il y a d’autres mondes… Mais c’est difficile d’avoir les mots justes pour parler de cela. Il est important pour moi de créer des langages pour exprimer et aborder le deuil.

De quoi est fait cet espace dans lequel vous nous invitez ?

Nous invitons le public dans un espace où l’on peut entrer en conversation avec sa propre relation à la perte, au deuil. Le deuil est ce lieu universel que l’on va tous et toutes vivre et donc, où l’on peut tous et toutes se rencontrer. Avec cette création, je pense que l’on propose un cadre, un contexte, un contenant possible pour parler du deuil. C’est une invitation à s’autoriser à ressentir, à échanger, à partager. C’est un espace de permission.

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