Cette pièce arrive à la suite d’un cycle de création qui a commencé en 2013 et qui a mené à ORIRI, ORIR, ORI, OR, et bientôt O. L’œuvre s’établit doublement dans la durée, celle d’une collaboration longue avec plusieurs des interprètes au fil du cycle, et celle de l’événement même qui se déroule pendant des heures. Qu’implique cette temporalité ?

La première chose qui me vient à l’esprit, c’est l’importance du processus à long terme. Dans ma vie personnelle, la plupart des choses prennent du temps. Ce qui fleurit aujourd’hui naît de graines qui ont été semées il y a bien longtemps et qui ont poussé tout doucement. Les choses qui ont duré sont les plus importantes aujourd’hui. Je m’engage dans des aventures à long terme et je m’y investis, comme avec ce groupe qui va danser O2.

Avant la pandémie, nous nous sommes rencontrés tous les samedis pendant deux ans. Il y a eu un processus pour développer, creuser, approfondir. Avec O2, ce moment de présence si particulier, on prend le temps de se poser dans un lieu, d’entrer en relation avec lui, avec ce qui est solide et ce qui est mobile, avec ce qui est inchangé et ce qui change dans le lieu, et ce qui change en nous aussi.

Justement, comment s’est fait le choix des lieux pour ce printemps ?

Instinctivement, ce sont les places devant les églises qui ont attiré mon attention. Nous dansions devant des églises déjà l’année dernière, pour des performances furtives. Je suis marquée par l’aspect architectural de ces lieux et des voies minérales qui les bordent. Il y a une rencontre entre le vertical et l’horizontal.

Je n’y entre pas, mais j’apprécie leur parvis. Ce sont souvent des lieux telluriques et célestes qui ont des vibrations particulières que l’on arrive parfois à sentir quand on entre dans une danse très introspective. Je mets en scène O2 dans ces lieux pour raviver à la conscience les « temples de chair » que sont nos corps, tellement sensibles.

Les parvis d’église sont aussi des lieux de rassemblement. Au tout début du processus, le groupe de O2 a fait une performance sur la place des Tisserandes, dans Hochelaga-Maisonneuve. Les tisserandes s’y retrouvaient autrefois, et ce geste artisanal m’avait beaucoup parlé. Tisser, c’est aussi tisser la communauté, et notre projet vient de ce désir-là. Tous mes projets de groupe sont des rituels de rassemblement et d’intériorisation partagée.

Votre travail avec les interprètes s’inspire librement de la pratique du Mouvement authentique, une « danse de l’être » qui s’est développée aux États-Unis dans les années 1950, à partir des travaux du psychiatre suisse Carl Gustav Jung. Quels sont les éléments fondamentaux de votre approche forgée au fil des ateliers ?

Ma passion pour la pratique du Mouvement authentique a débuté au moment d’entreprendre les ateliers il y a quelques années. Comme artiste, il me semblait atteindre la quintessence de la danse lorsque je voyais des êtres plongés dans leur intériorité. J’ai donc convié les participant·e·s des ateliers sur ce chemin-là.

On ne fait pas du Mouvement authentique dans sa forme originelle, mais je m’en inspire pour inviter les interprètes à cette forme qui accueille l’autre comme un témoin, un spectateur, mais également comme un frère ou une sœur. C’est une pratique qui permet l’acceptation permissive de l’être dans toutes ses couches, en présence de l’autre, donc dans le relationnel. Les consignes que je propose en atelier fonctionnent à la fois pour des danseur·euse·s professionnel·le·s, mais aussi pour des personnes qui ne sont pas danseur·euse·s de métier, tout comme pour les enfants, ou pour les merveilleuses toisons blanches qui ont dépassé les trois quarts de siècle !

Dans la pratique elle-même, on prend toujours un temps pour bouger les yeux fermés, en présence d’un témoin. Puis on récolte notre voyage intérieur et on se donne un temps pour le partager, en gestes, en mots, et éventuellement on recevra un témoignage de la personne qui a été témoin. La danse émerge de cette présence à soi à travers une grande introspection.

Tout cela implique des outils délicats, car ce n’est pas simplement une danse qui émerge, c’est notre âme qui danse et qui parle à travers le corps. Et lorsqu’on écoute le corps de cette manière, il arrive parfois qu’on ait accès à notre vulnérabilité, qui peut être reliée à des traumatismes ou à des ténèbres intérieures, mais aussi à la lumière, au numineux, à la vie poétique même. Je pense que c’est une occasion d’expérience affective du sacré, par le corps. C’est un travail qui exige un grand soin.

Entretien avec Sarah Dell'Ava | O2

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