Il y a dans ce spectacle une certaine urgence de dire et de faire. D’où vient cette impulsion ? S’inscrit-elle dans la lignée de vos spectacles précédents ?
Le point de départ de cette pièce est né de la sensation d’être enfermé dans un corps, enfermé dans une cage.
Dans mon précédent spectacle, Multiverse (2016), je cours en cercle autour de moi-même, autour d’objets et de tourne-disques. C’est une pièce sur la circularité : la métaphore d’un homme sur scène se cherchant lui-même, tournant en rond dans son état autoréférentiel.
Sur scène se trouvait une petite boîte, comme un symbole de ce qui contient l’être, le corps, la personnalité.Pour Mikado Remix, j’ai eu envie de prendre cette boîte comme point de départ et d’y amener le public à l’intérieur.
Que se passe-t-il lorsque nous entrons dans cette boîte, dans la logique d’un corps et d’un être ? Quel jeu de polarité se met en place entre l’être et son image ? J’ai ressenti une grande urgence de réfléchir à ces questions.
J’ai toujours été fasciné par les barrières. Dans Secured Court (2011), j’avais construit une structure de barrières, symbole de rectitude et de clôture de l’espace, autour de laquelle les joueurs de basketball devaient disputer une partie.
J’ai repris ces matériaux pour Mikado Remix. J’ai conçu la scénographie à partir de tuyaux en métal, matériau dont sont constituées les barrières et les cages.
Une proposition esthétique rigide et carrée, que j’ai eu envie d’écraser et de mélanger, comme un jeu de mikado, où tous les tuyaux sont chaotiquement emmêlés.
Vous portez plusieurs casquettes : performeur, compositeur, chanteur et bricoleur. Comment s’est déroulé le processus de création de cette œuvre ? Avez-vous commencé par écrire les textes, composer la musique ou fabriquer l’espace et les objets technologiques ?
Je commence toujours l’étude des différents médiums simultanément : je dessine, j’écris des textes, je crée des rythmes, je danse, je chante, je construis des objets et une scénographie.
Dans le cas de cette pièce, la question était la suivante : comment bien aborder cette polarité de la réflexion de soi ? J’ai donc commencé à jouer avec des images de caméras de surveillance et des mélangeurs vidéo pour créer des réflexions infinies d’images : des images en miroir, des images en écho.
J’ai travaillé deux ans à cette pièce. Je prends généralement mon temps pour créer, car j’ai à agencer beaucoup d’idées, pour écrire les lignes de contenu et arriver à la forme juste.
Je compose également toute la musique. Pour moi, une pièce est un Gesamtkunstwerk (« œuvre d’art totale ») dans laquelle plusieurs disciplines se rencontrent et je tiens à lui accorder l’attention qu’elle mérite, pour que cela devienne une expérience totale pour le spectateur. Je suis depuis longtemps animé par la musique qui implique le corps et qui est opérée en direct.
J’aime que le spectateur voie comment la musique est fabriquée. Je travaille avec des échantillonnages et des loop stations (qui permettent de créer des boucles en direct). La musique est pour moi un outil pour survivre, pour donner de l’âme aux choses, pour les chanter plutôt que de me laisser absorber par elles. Dans Mikado Remix, il y a aussi Do Ré Mi, une référence à la musique qui traverse la pièce.
Dans le spectacle, vous posez plusieurs contraintes qui compliquent grandement vos actions, comme si cela vous permettait d’explorer des chemins alternatifs. Les contraintes sont-elles pour vous une source d’émancipation ?
Il y a un principe sur lequel j’adore me baser, très simple, à la manière du jeu de mikado : « ça va marcher même si c’est compliqué ». Un chemin facile est un chemin ennuyant. Je mets les choses en place pour que ce soit stimulant à faire. Il serait bien sûr plus facile pour moi de choisir une voie plus simple, mais alors il n’y aurait pas de spectacle.
Je me fixe des tâches et des règles pour moi-même avec les objets et l’environnement scénique de manière à m’amuser.
Tout dans cette pièce est en constellation autour de ce principe, qui suit ma propre logique de jeu. Malgré cette étrange logique et tous les éléments scéniques qui s’entremêlent, cette pièce explore quelque chose d’universel, une sorte de reconnaissance de l’humain en quête de solutions, qui cherche sa place dans un système fermé.
Je suis également intéressé par l’échec et la coïncidence, car cela ouvre de nouvelles voies d’accès. Je ne cherche pas une forme d’émancipation, je m’intéresse plutôt à créer un système qui peut échouer.
Ce n’est pas non plus une solution pour d’autres systèmes, je ne résous aucun problème. Je ne connais pas la solution, je parle simplement de mon désaccord et de ma colère, et montre comment ce système travaille en moi, à travers moi et me fait réagir.
Mikado Remix dit quelque chose sur la société, c’est un instantané, un symptôme de la société.