Comment avez-vous élaboré cet objet artistique à quatre mains, cette plongée bicéphale dans l’intime ?
Mélanie Demers : Il y a plusieurs années, j’étais en résidence à l’Usine C et je voulais créer un solo pour clore mon cycle de création de trois ans. J’ai commencé à travailler et je suis alors tombée enceinte. Le spectacle est donc retourné dans les tiroirs.
Quand Angélique m’a parlé de son projet doctoral, de cette idée de travailler la matière de l’interprète, ça m’a donné envie de le ressortir. On a gardé l’esprit de la révélation et le titre, porteur : un spectacle, c’est toujours une confession publique ! Celle-ci est totalement axée sur le matériau de création qu’est Angélique. Si on prenait une autre interprète, ce serait complètement un autre spectacle.
Angélique Willkie : Il faut dire que je travaille beaucoup comme dramaturge sur les œuvres de Mélanie. Je suis très familière avec son univers.
Pour mon doctorat, je m’intéresse à la dramaturgie du performeur ou de la performeuse, et j’avais envie de m’utiliser comme étude de cas, mais c’était important de ne pas rester dans un contexte de laboratoire, de ne pas être chercheuse pendant la création. Comme interprète, pour creuser comme je l’ai fait, je ne pouvais pas être dans l’observation. Nous avons trouvé la vraie chimie chorégraphe-interprète.
Est-ce qu’une part de fiction a émergé de votre rencontre ?
A.W. : Il y a beaucoup de vérités dans le spectacle, mais aussi des fictions nées de nous deux, de notre relation. On n’aurait pas pu les générer autrement. Même si la matière brute vient essentiellement de moi, de mes expériences, de mon corps, ce qu’on en a fait vient de Mélanie.
Ma réalité sur le plateau, c’est que je cherche continuellement à rencontrer son imaginaire, du début à la fin. Si je perds ce contact, je perds la justesse. Dans les confessions, mais dans la physicalité aussi. Ça rajoute une couche de vrai. Je dirais même : s’il y a une vérité dans ce spectacle, c’est ça.
M.D. : Angélique est une artiste vraiment généreuse, c’est facile de récolter sa sève. Il y a donc beaucoup d’elle dans le spectacle, mais aussi forcément beaucoup de moi parce que j’interprète et j’organise le tout avec ma propre sensibilité et ça me révèle. Je lui demande de se réinventer, de se livrer, à travers mon labyrinthe, en quelque sorte.
On joue aussi avec une certaine idée de l’aléatoire. Ses confessions ne sont pas toujours les mêmes d’un soir à l’autre. On sait quelle est la première et quelle sera la dernière, mais le chemin est différent, selon l’impulsion du moment. Je trouve intéressante cette obsession pour ce qui est vrai ou faux. Alors qu’un spectacle, quand on y pense, ce n’est que du faux ! C’est la sensation de l’authenticité qui importe et j’aime jouer avec cette idée paradoxale pour créer des coups de poing dramaturgiques.
Pouvez-vous nous parler du mouvement dans le spectacle, de même que des forces en tension ?
A.W. : Nous ne sommes pas des êtres linéaires, nos expériences ne le sont pas non plus. Ce qui intéresse Mélanie, c’est le travail et non la réussite. Jouer avec ce qui est noble et vulgaire en nous. Osciller entre brutalité et bienveillance. Patauger dans cet endroit générateur que l’on appelle « le marécage ». Accepter que la création soit une somme d’accidents qui peuvent mener à de réels moments de grâce. Elle cherche chez ses interprètes un engagement total, dans l’abandon, en perpétuel mouvement.
M.D. : J’aime les voir tenter de résoudre l’équation plutôt que de me donner la réponse. Certain·e·s me disent que c’est impossible de répéter mes pièces, car elles exigent d’être toujours dans le performatif. Je cherche le sous-texte, ou plutôt le sous-geste, qui nous mène dans les recoins, dans les zones d’ombre et qui détermine comment on se meut. L’idée pour Angélique est de pouvoir être à la fois une petite fille qui dévale une pente en vélo, un homme des cavernes, cette vieille dame qu’elle sera plus tard, homme et femme, noir et blanc.
En quoi Confession publique est-elle une pièce politique ?
M.D. : Peut-être qu’au début de ma carrière j’étais plus militante. Maintenant, je veux simplement de la liberté, un espace d’ouverture, de jeu. Ensuite, si je faisais une pièce totalement abstraite, des corps blancs sur de la musique classique, est-ce que ce serait aussi politique venant de moi ? Est-ce que c’est ma personnalité qui véhicule un prisme politique ? Ou est-ce que toute utilisation d’une tribune, tout choix artistique est politique ?
A.W. : La façon dont Mélanie travaille avec les corps dits « atypiques » est politique. Déjà, j’ai 60 ans, quand je monte sur un plateau, je suis dans un laisser-aller complet. Relativement tôt dans la phase de création, j’ai dit à Mélanie que j’étais prête à être nue sur scène. Je ne suis pas forcément pudique, mais si le mouvement Black Lives Matter n’avait pas eu lieu, je ne sais pas si j’aurais pris cette décision.
Comme créatrice, Mélanie est très sensible à ce qui se passe autour, à tout ce qu’on a vécu en deux ans, la pandémie, les injustices, la souffrance et la lumière. Elle transpose le vivre-ensemble, la vie sur le plateau, et la vie est politique.