Qu’est-ce qui vous a interpellé dans cette œuvre de Pierre Perrault ?
Je souhaitais depuis longtemps mettre en scène un texte du répertoire québécois et un jour, quelqu’un m’a parlé d’Au cœur de la rose. Dès les premières lignes, j’ai été happé par l’atmosphère très forte de cette pièce et j’ai vu en quoi elle pouvait me permettre de déployer tout ce que m’intéresse au théâtre. Tout comme dans son cinéma, Perrault s’empare de personnes ordinaires et de situations concrètes pour en faire une lecture profondément poétique. Même si le drame est réaliste, la langue de l’auteur et la manière dont on s’enfonce dans la psychologie des personnages créent un tout esthétique et dramatique puissant. Je me reconnais beaucoup là-dedans. La plupart du temps, comme metteur en scène, je me penche sur des histoires assez réalistes et lorsque je dirige les interprètes, je suis même dans une recherche d’hyperréalisme. Pourtant, lorsque ce travail d’interprétation est poussé plus loin et qu’il s’inscrit dans l’ensemble plus vaste des éléments du spectacle, on découvre une esthétique presque impressionniste, surréelle.
Vous décrivez votre travail comme un « théâtre-paysage ». Qu’entendez-vous exactement par cette expression ?
Je dirais que tout dans le travail de Pétrus est paysage. Toute l’équipe réfléchit dans ce sens-là. Comme le paysage en peinture, je cherche à créer sur scène des images un peu floues, mélancoliques, contemplatives, plus grandes que nature. Grâce à une recherche sur l‘espace, la lumière, le son ou la vidéo, les environnements que nous sculptons sont sensoriels. Les mots et la parole résonnent dans un ensemble plus vaste qui emplit totalement le théâtre, la scène autant que la salle, pour nous projeter dans un autre monde, à mille lieues du quotidien. J’envisage les éléments de la représentation comme un tout. On peut s’identifier, se raccrocher à certains éléments, bien sûr, notamment aux personnages et aux situations, mais j’aime qu’ils s’inscrivent dans des mondes mystérieux ou magiques. J’aime par-dessus tout faire dialoguer une image brumeuse et indistincte, avec une présence sonore forte. On voit peu, mais on entend bien, et les imaginaires du public sont alors d’autant plus sollicités et éveillés.
La première version du texte date de 1958. Que remarquez-vous par rapport au passage du temps dans l’écriture d’Au cœur de la rose ?
C’est une pièce assez étonnante, qui est à la fois en phase et en décalage avec son époque. Elle est parue à une époque où le joual faisait son entrée avec fracas dans la dramaturgie québécoise en mettant de l’avant une réalité très urbaine. Au cœur de la rose est loin de ça. L’histoire se situe sur une île perdue au milieu du fleuve et les personnages s’expriment dans une langue qui, même si elle est inspirée de l’oralité québécoise, est plutôt soutenue.
Au regard d’aujourd’hui, on y retrouve bien sûr certains éléments caractéristiques des années 1960, qui, pour ma part, me séduisent beaucoup. Par exemple, il n’y a pas de moyens de communication, pas de téléphone. Il s’agit d’un texte où le temps est long et lent. De plus, les personnages présentent parfois une certaine naïveté par rapport au monde qui les entoure, ce qui n’est plus possible de nos jours, en constante connexion comme nous le sommes.
À l’époque, la pièce a aussi été lue, comme la plupart des œuvres d’art produites dans ces années-là, de manière politique. Aujourd’hui, on peut sans doute la lire plus librement et s’intéresser à une plus grande variété de thèmes qui la traversent.
Qu’est-ce qui vous intéresse le plus ?
On trouve dans ce texte des thèmes intemporels qui font partie de mes obsessions comme artiste. Notamment l’appel du large, la vie de ceux qui restent et celle de ceux qui partent, le destin qui nous empêche, les forces progressistes de la jeunesse face à l’inertie des conservatismes, la violence du monde devant les tentatives des humains pour y trouver un sens, la naissance confuse et puissante des désirs, l’origine de la tristesse… C’est une pièce qui ne fournit aucune réponse, mais s’attarde plutôt à montrer la complexité des situations. Tous les personnages se démènent contre les éléments, avec ce qu’ils sont, ce qui les attire, les rassure face à leurs fantômes. C’est une constellation de destins et de nœuds dramatiques au milieu d’une nature qui les avale. C’est très fort.