Avec The Beach and Other Stories, vous activez des archives photographiques en vous intéressant aux différentes histoires qu’elles peuvent contenir. Comment décririez-vous votre rapport à l’image ?

Je m’intéresse depuis longtemps à ce que veut dire être ensemble et aux modalités de partage d’un narratif commun. À l’heure actuelle, j’ai l’impression que la monnaie d’échange de notre imaginaire collectif passe majoritairement par l’image. C’est ce que The Beach problématise ou investigue d’une certaine façon. L’omniprésence d’images oriente nos narratifs, nos regards, nos façons d’être ensemble. J’ai l’impression que ce trop-plein appauvrit mon imaginaire aussi.

À cet égard, il y a ce mot en anglais, « unharness », qui me guide. Se débarrasser d’un harnais, de quelque chose qui contraint. The Beach émerge d’un besoin de libération et de réappropriation de l’imaginaire. Je cherche à faire corps avec l’image pour mieux lui rendre son pouvoir d’évocation. C’est pourquoi je désire réinscrire ces photographies dans le flux de la vie en circulant à l’intérieur d’elles par le truchement, notamment, de la narration et du mouvement.

 

Ce travail de narration forme le cœur de votre performance. Parlez-nous un peu du processus d’écriture au cours duquel vous avez cherché « à faire corps avec l’image ».

Contrairement à mes créations précédentes, j’ai cherché dans The Beach à me défaire de toute forme d’abstraction en me tournant vers un geste de création beaucoup plus concret : l’écriture. Je désirais aussi travailler à partir d’une réalité tangible et déjà existante : les photographies. Nous avons sélectionné un ensemble de photographies réalisées par Olivier Tulliez représentant un quotidien bulgare dans les années 1996-1998.

Le travail de co-écriture avec Michael Martini consistait à décrire finement et très concrètement l’action ou le paysage représenté par ces images. Nous devions demeurer à l’intérieur du cadre photographique en faisant abstraction du contexte socioculturel ou de l’époque. Nous avons passé environ une heure avec chaque image et l’idée était de les faire parler en nous attribuant des rôles et en explorant les différentes adresses. Il s’agit d’un exercice d’observation, d’écriture et de partage, d’un travail d’attention profonde et soutenue. Cette période d’écriture a été pour moi une manière d’absorber le contenu des photographies pour mieux entrer en relation avec elles.

Si le sens d’une image s’incarne à l’extérieur de soi, j’ai l’impression que l’écriture permet de s’en rapprocher, d’entrer en soi. J’ai cherché cette proximité tout en maintenant une distance. Je ne voulais pas que cet exercice de réappropriation de l’image soit trop personnel et devienne à propos de moi ou de mon identité. Je désirais maintenir un dialogue aux ramifications multiples.

 

Pourquoi ce choix de travailler à partir d’archives photographiques provenant de la Bulgarie des années 1990 ?

C’est une décennie bien particulière en Bulgarie, une époque chaotique et remplie de contradictions. L’espoir soulevé par l’avènement de la démocratie était très grand et se heurtait aux effets pervers du capitalisme qui commençait à s’installer. Le régime communiste venait tout juste de s’effondrer. Cette absence de système et de régime politique était porteuse d’un narratif commun où tout était à créer. Chacun participait à l’invention d’une nouvelle vie collective dans le chaos et l’enthousiasme. Les années 1990 ont fait naître l’espoir, et chacun·e rêvait aux possibles d’une autre vie.

L’imaginaire collectif était en expansion, pas encore captif des structures politiques ou des esthétiques marchandes. Cela a permis des révolutions. Cette énergie débordante, un peu adolescente, avec peu de contraintes, de règles ou de prescriptions de comportements, m’intéresse. Je me suis demandé comment la mettre en scène. Je travaille sur un mécanisme social et non sur mon identité. Je me demande comment réinsuffler une liberté créatrice à l’intérieur d’un système marchand.

 

Quelle place prend la subversion dans votre travail ?

Elle est centrale, car je cherche à déjouer le pouvoir de suggestion des images. C’est pour cela qu’il y a, notamment, des intrus dans les photos (l’image de la plage, la peinture de Goya) et des non-sens dans les histoires que je raconte. Je travaille majoritairement avec des exceptions, des contrastes, des illogismes qui s’immiscent entre les objets, les corps, les paroles et les photographies.

Je cherche des actions qui me permettent de subvertir mon propre système et celui de la création. Subvertir les règles que je soupçonne inscrites en moi. Le défi de cette performance est de trouver des exceptions dans une esthétique marchande sans revendiquer quoi que ce soit. L’humour et l’ironie sont d’importants vecteurs de subversion. Toutefois, je dirais que je travaille davantage à partir d’un geste de tendresse. Il est important pour moi de générer un moment de grâce dans l’acte de communiquer une histoire, de se raconter ensemble.

 

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