Taverna Miresia explore des souvenirs familiaux. De quelle manière le lien avec votre famille façonnent-il votre travail ?

Taverna Miresia est un hommage à ma famille, mais c’est surtout une réflexion sur l’absence de mon père, qui n’était pas présent au quotidien. Cette chaise vide sur scène représente ce vide dans ma vie, ce souvenir d’un père que je ne voyais qu’en été. Mon enfance a ainsi été marquée par des figures féminines – ma mère, mes sœurs, mes tantes – qui ont formé le centre de mon univers. Cette pièce explore cette atmosphère familiale, intime, où l’on ressent à la fois l’absence et la force des liens.

J’ai choisi de situer la pièce dans un décor de salle de bain, un espace très personnel et symbolique. La salle de bain est le lieu où l’on se retrouve seul, où l’on se débarrasse des masques, où l’on prend soin de soi. C’est un espace où l’on peut se dénuder physiquement et émotionnellement, et elle devient un symbole de transformation et de renaissance, où les personnages purifient leurs émotions, se dénudent de leurs défenses et révèlent leurs vulnérabilités. C’est un lieu à la fois familier et poétique, où l’eau, symbole des larmes, de la purification, coule comme un écho des souvenirs.

 

Pourquoi le théâtre est-il à vos yeux le lieu privilégié du rituel ?

C’est un cliché de le dire, mais le théâtre est un espace ritualisant par essence, un lieu où l’on peut suspendre le temps, se détacher du quotidien, et entrer dans un espace de communion. Dans Taverna Miresia, les personnages se retrouvent dans cette salle de bain comme dans un sanctuaire, où chaque geste a un sens et une profondeur, où l’intime devient sacré. J’aime aussi faire usage des sens, comme l’odorat, pour immerger le spectateur dans une expérience multi-sensorielle et enveloppante. L’aspect ritualisant est aussi incarné par une vision spirituelle du féminin. Dans cette pièce, les femmes sont davantage que des corps, davantage que des présences ou que des esprits. Elles ont quelque chose qui touche à l’au-delà et au plus-grand-que-soi; elles incarnent une force surréelle. C’est ma manière poétique de rendre hommage aux femmes qui m’ont façonné.

 

Malgré une certaine inclinaison pour le réalisme, votre théâtre bascule toujours vers une dramaturgie tissée d’images, de lumières et d’éléments symboliques. Qu’est-ce qui vous y amène ?

Le choix de faire un théâtre sans paroles, surtout peuplé d’images, me vient d’abord de mon amour pour le dessin. Dès l’enfance, j’étais fasciné par les histoires qu’une image pouvait évoquer sans besoin de mots. Dans Taverna Miresia, chaque détail visuel – des lumières aux mouvements des corps – est millimétré. Je me vois entre autres comme un « technicien de la lumière » qui utilise l’éclairage pour sculpter les émotions et exprimer l’indicible. La lumière peut transformer des espaces ordinaires en lieux poétiques ou sacrés. Je crois que les gestes et les regards créent aussi une poésie propre, remplie de symboles et de sens.

 

En abordant vos racines albanaises et en évoquant par le fait même votre immigration, vous introduisez une dimension politique forte, à une époque tumultueuse pour les migrations. En quoi cette question est-elle un moteur créatif ?

Mes racines albanaises ont toujours été un moteur dans mon travail, même si je ne l’ai pas conscientisé immédiatement. Taverna Miresia est une façon de représenter la culture albanaise de mon enfance, avec ses traditions, ses couleurs, et ses sons, mais aussi d’inscrire discrètement mon histoire dans un vécu collectif d’immigration. En Grèce, les Albanais sont souvent stigmatisés, et j’ai grandi dans cette dualité, où je me sentais tout autant déchiré comme Albanais qu’en tant que Grec. À la création du spectacle, le fait d’avoir mis en scène une famille albanaise sur la scène d’un théâtre institutionnel grec était ma façon d’interroger ces frontières culturelles, de rendre hommage à ce pays oublié ou parfois mal compris. Dans la pièce, les chants traditionnels albanais agissent comme un héritage sonore. J’ai grandi en écoutant ma grand-mère chanter des mélodies de deuil ou de joie, des chants qui racontaient des histoires anciennes. Le chant devient une sorte de lamento universel, porté par une chanteuse qui évoque la mère, le deuil et l’absence. C’est à la fois personnel et universel, un lien entre l’individu et la mémoire collective.

 

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