Quelles sont les impulsions créatrices à la base de Catarina et la beauté de tuer des fascistes ?

La pièce surgit d’un questionnement devant la montée des extrêmes droites populistes un peu partout dans le monde et notamment au Portugal. Face à cette situation, j’ai voulu poser le paradoxe de la tolérance : est-ce qu’on doit être tolérant·e envers les intolérant·e·s ? Ce paradoxe philosophique qui émerge au XXe siècle est au centre du spectacle. On raconte l’histoire d’une famille confrontée à ce dilemme : devant la menace actuelle à la démocratie, pouvons-nous continuer de jouer selon les règles ou peut-on s’autoriser à se salir les mains ?

 

Toute la représentation repose en effet sur cette question. Comment fonctionne le débat au théâtre, et selon vous, peut-il être porteur d’un changement social ou politique ?

Catarina et la beauté de tuer des fascistes présente un débat plutôt brechtien qui oppose deux visions. Les personnages restent sur leur position initiale tout au long de la représentation et selon moi, ça doit être ainsi dans une pièce dialectique. Ce qui nous enseigne quelque chose sur la vie, c’est de voir Antigone et Créon débattre avec force sans jamais changer d’avis. Leur obstination nous donne à nous, le public silencieux, la possibilité de départager ce qui est juste de ce qui ne l’est pas, d’analyser le bien et le mal dans chacune des thèses, sans nécessairement prendre parti. Dans le spectacle, nous poussons le débat très loin et épuisons toutes les possibilités de persuasion des deux points de vue. Malgré tout, après chacune des représentations, l’auditoire ressent le besoin de poursuivre les échanges. Chacun·e a besoin de faire le chemin pour soi-même, de trouver ses mots, d’entendre ceux des autres. Ça ne veut pas dire qu’on va radicalement changer d’opinion, mais j’ai vu plusieurs personnes douter de qu’elles avaient défendu toute leur vie. Soudain, à cause d’une pièce, elles se remettent en question.

Après, je ne pense pas que le théâtre puisse être de l’action politique. Le théâtre se nourrit parfois de la politique, il l’influence sans doute, mais il est fondamentalement différent et ne fonctionne pas selon les mêmes règles. L’espace de la fiction, auquel je crois encore comme artiste de théâtre, permet certaines choses qui ne sont pas possibles en politique. Par exemple, cette question complètement absurde et vraiment terrible : faut-il oui ou non tuer le fasciste ? Seul le théâtre peut créer un contexte dans lequel elle existe. Et le fait de la poser permet un autre type de réflexion sur la société. La pièce n’est pas là pour défendre ma position ou celle des personnages. Elle est là pour formuler un questionnement pour lequel le théâtre propose des outils dont le journalisme ou la politique par exemple ne disposent pas.

 

Votre spectacle se projette dans l’avenir, mais met en avant des éléments habituellement associés au passé : la tradition familiale, le terroir, l’histoire. Est-ce que vous y voyez une contradiction ?

Non, pas du tout. Je pense qu’une des choses très importantes pour interpréter ce qui se passe actuellement dans le paysage politique européen, c’est de comprendre les similarités et les différences avec le passé. Lorsque j’utilise le mot « fasciste » dans le titre, je reconnais que je fais une erreur terminologique. Le fascisme est un mouvement historique défini selon certaines caractéristiques précises et la plupart des partis d’extrême droite d’aujourd’hui ne répondent pas exactement à sa définition. Pourtant, même s’il est scientifiquement inexact, j’utilise ce mot parce qu’il ranime une notion de danger que nous semblons parfois oublier.  Et je ne voudrais pas qu’on oublie qu’il y a un lien entre le fascisme du siècle dernier et la menace actuelle.

 

Vous avez choisi de situer le temps de la pièce dans un futur très proche, en 2028. Pourquoi ?

Ma stratégie dramaturgique était de situer le récit dans un futur calculé selon le calendrier politique. En 2020, lorsque nous avons créé le spectacle, nous avions eu des élections au Portugal et pour la première fois depuis la fin de la dictature fasciste en 1974, un député d’extrême droite a été élu à l’Assemblée nationale. Mon raisonnement a été le suivant : si les prochaines élections ont lieu dans quatre ans, et puis d’autres encore quatre ans plus tard, il est mathématiquement plausible qu’en 2028 la droite radicale remporte la victoire. Finalement, il y a eu des élections législatives anticipées en janvier 2022, et aujourd’hui, il y a 12 députés de ce parti élus. En à peine trois ans, le parti d’extrême droite est devenu la troisième force la plus importante du pays. Donc la pièce est moins dystopique en 2024 qu’elle ne l’était il y a quatre ans.

 

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