À l’origine, ce texte est un monologue, écrit pour un comédien. Vous avez choisi d’en faire une partition pour neuf comédien·ne·s. Expliquez-nous pourquoi.

Tatiana Zinga Botao : Ce choix de multiplier les voix, c’est certes une façon de revendiquer nos origines. Mais plus encore, il s’agit de montrer que la représentation de la personne noire au Québec est une somme d’individualités distinctes. L’âme noire se vit d’une multitude de façons.

Nous souhaitons aussi partager un autre constat, c’est que nos combats, ces combats que l’on vit au quotidien et dont il est question dans le texte, se transmettent malheureusement de génération en génération. On peut encore très bien s’identifier à Ali et à ses revendications, et faire nôtres celles d’Étienne, comédien africain.

Lyndz Dantiste : Nous sommes tous et toutes noir·e·s, mais ce n’est pas parce que nous sommes de la même communauté que nous sommes pareil·le·s. Nous ne sommes pas un bloc monolithique, bien au contraire. Sur scène, nous sommes neuf comédien·ne·s de générations différentes. Certains ont défriché la scène théâtrale, comme Widemir Normil et Martin-David Peters. Il y a aussi des acteurs plus jeunes, comme Fayolle Jean Junior. Et enfin, la nouvelle génération, avec Anglesh Major, Rodley Pitt, Maxime Mompérousse. Ils sortent à peine de l’école, mais ont évidemment déjà vécu des situations discriminatoires. On ne comprend pas pourquoi le Québec ne se rend pas compte que les personnes racisées devraient être plus visibles sur scène. C’est le même constat que celui que faisait Widemir il y a 40 ans ! Rien n’a changé.

 

Dans le travail des comédiens, comment s’opèrent les glissements du personnage d’Étienne, « l’acteur », vers celui de Mohammed Ali, « le boxeur » ? Et comment le combat s’incarne-t-il sur scène ?

Philippe Racine : On entend les personnages d’Ali et d’Étienne, mais aussi le comédien lui-même. Nous ajoutons une troisième couche d’interprétation. Le texte est découpé de façon à ce qu’on se demande sans cesse qui d’Étienne, d’Ali ou du comédien est en train de parler. Cette partition chorale demande une écoute particulière et une virtuosité de la part des comédiens.

Par ailleurs, nous travaillons avec la chorégraphe Claudia Chan Tak, qui pratique les arts martiaux, pour intégrer une certaine gestuelle de combat. Comment puis-je exprimer par le corps le combat que je vis en tant que Noir au Québec ? Le corps de l’acteur, le corps du citoyen et le corps Ali. Ce sont trois corps affirmatifs, fiers, qui s’expriment sur scène de façons différentes pour évoquer les réalités du corps noir.

Il y a quelques années, j’avais écrit un court texte où je témoignais d’une impression qui m’habitait surtout à l’adolescence, mais parfois encore aujourd’hui, celle d’être dans un perpétuel état de dissociation — pas  tout à fait Noir, pas tout à fait Québécois, plus ou moins Canadien, avec un accent fluctuant. Une identité tellement explosée qui me donnait cette impression d’une schizophrénie. C’est aussi cette pluralité que l’on veut transmettre au public. Dans le texte, le personnage d’Étienne est d’ailleurs diagnostiqué comme ayant un trouble de la personnalité multiple.

Tatiana Zinga Botao : Ce qui est très intelligent dans le texte de Dieudonné Niangouna, ce sont ces parallèles entre la préparation du boxeur avant d’entrer dans le ring et le travail du comédien qui s’apprête à monter sur scène.

 

Dans le texte, Dieudonné Niangouna convoque la figure de Sony Labou Tansi, un autre grand écrivain congolais. Que pouvez-vous nous dire de cette influence ?

Tatiana Zinga Botao : Pour moi, il s’apparente à Patrice Lumumba [premier premier ministre de la République démocratique du Congo]. Ce que Lumumba a fait en politique, Labou Tansi l’a fait en littérature, c’est une figure de libération. Dans la pièce, il y a un moment où le personnage d’Étienne délaisse Ali et parle à la première personne de ses propres combats. Plus je relis le texte, plus je vois transparaître Sony Labou Tansi dans les revendications mentionnées par Étienne. D’ailleurs Niangouna le dit lui-même, il s’est beaucoup inspiré de ce grand écrivain. Quand il a été invité au Théâtre de la Colline à Paris, il a refusé de jouer ses propres textes et a préféré d’abord rendre hommage à Sony Labou Tansi, celui qui lui a donné le goût d’écrire.

 

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