#PUNK 100% POP *N!GGA

Récompensée de quatre prix Bessie, chipaumire a d’abord étudié le droit, puis la performance, la chorégraphie et la danse en Afrique, en Jamaïque, à Cuba et aux États-Unis. Ses performances ont fait le tour du monde, présentées notamment en France, en Italie, au Japon, au Sénégal et au Zimbabwe.

chipaumire s’intéresse au statut et au pouvoir du corps, aux classes sociales, à la politique, aux possibilités d’émancipation et aux mouvements d’indépendance individuelle et sociale. Son solo Dark Swan (2005), recréé en œuvre de groupe en 2014, abordait notamment la transmission de l’art vivant d’un corps à un autre à travers le sien, celui d’une femme africaine, porteur de toute une histoire.

Ses œuvres traitent des enjeux entourant l’identité noire, africaine et féminine, le colonialisme, en passant par la danse, la conversation des corps et la revendication politique. Miriam (2012) interrogeait le legs de traditions culturelles impérialistes sur la définition de la beauté et du pouvoir féminins, alors que portrait of myself as my father (2016) portait sur les rapports du mâle africain et du capitalisme dans un ring de boxe.

Pour sa première venue au FTA, chipaumire présente sa trilogie #PUNK, 100% POP, *N!GGA créée à The Kitchen à New York en 2018. Entre l’autoportrait, le manifeste politique et le concert punk, cette performance live en trois parties poursuit son questionnement sur l’émancipation des corps noirs et les rapports de domination.

Votre trilogie #PUNK 100% POP *N!GGA est inspirée par trois genres musicaux : punk, pop et rumba, qui correspondent à trois idéologies. Quel est le lien entre elles ?

Tous ces sons appellent une pensée révolutionnaire. Je m’intéresse à leur dimension politique. L’arc de la trilogie commence hors de l’Afrique, avec le punk et la pop, pour arriver en Afrique avec la rumba congolaise, comme un retour aux origines de l’humanité.

Je débute avec le mouvement radical punk, issu d’une révolte de la jeunesse née en Angleterre dans les années 1960 et 1970, effrayée face à son avenir. Il proposait une idéologie en dehors de l’État.

Je poursuis avec la pop, plus générique, dont la dimension politique n’est pas si évidente. Pourtant, la pop est très puissante : tout le monde peut y accéder, la pop est partout.

La troisième partie (*N!GGA) est inspirée de la rumba congolaise, qui est aussi populaire à sa façon, mais occupe une marge nécessaire, parce qu’africaine, différente de la culture punk. La rumba est la mathématique noire. C’est une science presque parfaite en soi. Le Congo est à la base de la diversité des langages et annonce l’arrivée de l’indépendance et l’émergence de temps différents pour le potentiel des femmes en Afrique.

Le triptyque met à l’honneur trois figures féminines fortes des musiques punk (Patti Smith), pop (Grace Jones), et de la rumba (Rit Nzele). Pourquoi ces trois icônes ?

Patti Smith se démarque par sa solidarité aux autres, Grace Jones par son individualité distincte et Rit Nzele par sa capacité à intégrer un milieu masculin, permettant de repenser ce qu’est la célébrité quand il s’agit de femmes africaines. J’ai choisi de représenter la pop par Grace Jones, femme noire téméraire qui osait remettre en question les identités de genres et a tout fait en dehors des boîtes, des conventions, en mettant toujours son individualité de l’avant.

Quand je vivais au Zimbabwe, Grace Jones m’est apparue comme un modèle inspirant : elle affichait un look unique sans transformation et affirmait sans gêne la part masculine de la femme. Elle était vraiment en avance sur son temps. Rit Nzele est une chanteuse congolaise qui est aussi une « atalaku », performeuse de spoken word et maître de cérémonie. Elle occupe une place importante en tant que femme ayant pénétré le cercle très masculin de la rumba congolaise.

Elle est difficile à trouver sur Internet, et c’est ce qui m’intéresse : ces femmes qui ont un impact dans des espaces marginaux. Plusieurs disent qu’il n’y a pas de femmes africaines chorégraphes contemporaines.

La vérité, c’est qu’elles existent, mais n’ont juste pas la même visibilité que les hommes. Quand l’une d’elles fait surface, on sait que c’est la meilleure des meilleures. Elle doit être une battante pour se rendre là.

#PUNK est inspiré de la célèbre chanson de Patti Smith « Rock ‘n’ Roll Nigger », qui porte en elle la tension d’une femme blanche qui se présente comme noire. En quoi ce paradoxe vous interpelle ?

C’est une question urgente en ce moment. Je prends la phrase de Patti Smith, quand elle dit « I’m a Rock ‘n’ Roll Nigger », et qu’elle se tient avec les travailleurs pauvres, avec ceux qu’on désigne comme « les autres ». Elle ne dit pas qu’elle est plus noire qu’une autre, mais qu’elle se tient debout avec eux.

Je vais encore plus loin en militarisant cette phrase, en montrant à quel point le mot « nigga » est problématique. Comme Africaine noire, je me questionne sur mon droit d’utiliser ce mot, à l’instar d’une femme blanche. Africains et Américains en ont fait une arme. Je m’intéresse à l’économie politique du langage.

#PUNK 100% POP *N!GGA ressemble à un concert punk où le public partage l’espace avec les performeurs. Pourquoi ce choix ?

Parce que la performance en danse est morte. Les mêmes vieilles structures sont répétées partout : des corps qui regardent, passifs. Les gens s’attendent à aller voir un spectacle, à rester assis devant quelqu’un qui les divertit. Leur corps est comateux, comme s’ils recevaient une perfusion sanguine.

L’idée est de revigorer l’art performatif et la danse, ainsi que l’idée d’être présent, complice : les performeurs et le public sont un, activant l’idée de démocratie, de constitution.

Dans un concert punk, tout le monde participe. Quand on réagit et interagit, il y a une vraie conversation.

C’est ce que la démocratie devrait être : une participation active. On assiste aujourd’hui à un empowerment noir partout depuis Obama. Pouvons-nous aussi apporter des idées qui viennent de la pensée noire, de la philosophie africaine ? Il est essentiel que nous, les Noirs, nous nous imaginions plus grands, plus forts, meilleurs, en termes d’idées. Ça doit passer également par le questionnement autour de la performance, du corps, de la construction d’une constitution.