Public/Private Parts ou L’Origine du monde

De 2006 à 2013, il est membre de la Compagnie Marie Chouinard et danse notamment dans Orphée et Eurydice (FTA 2008), Le sacre du printemps et bODY_rEMIX : les_vARIATIONS_gOLDBERG. Il obtient le prix Gemini de la meilleure prestation dans l’adaptation cinématographique de ce dernier spectacle.

En 2013, il part à New York afin d’étudier le voguing auprès de maîtres réputés tels que Amazon Leiomy Maldonado, Archie Burnett et Danielle Polanco. Il réfléchit à un solo inspiré autant de ce type de danse que de la clientèle de la boîte de nuit montréalaise Citibar, qui attirait particulièrement la communauté des transgenres. The Principle of Pleasure, résultat de cette réflexion, a d’abord été présenté en version écourtée au Rhubarb Festival de Toronto en 2014 ainsi qu’à New York et à Porto la même année, puis créé au Théâtre La Chapelle en 2015 et présenté au FTA en 2017, et enfin à Toronto, à Zurich, à Lausanne et à Berlin.

Reyes amorce une recherche autour des similitudes sociales entre travailleurs du sexe et danseurs, termine en parallèle un certificat au Somatic Sex Education Center en Australie, ce qui lui permet d’être consultant pour les scènes d’intimité ou de sexualité sur divers plateaux de cinéma ou de théâtre, qu’il accompagne de manière bienveillante. Ces deux éléments jettent les bases de son spectacle Public/Private Parts ou L’Origine du monde. 

Que s’est-il passé depuis The Principle of Pleasure, présenté au FTA en 2018 ? 

Il y a eu tout un processus de développement, de compréhension, de recherche. J’ai poursuivi des recherches sur les aspects publics et privés du corps, autant au niveau sociologique que physique et philosophique. En 2017, je venais tout juste de rentrer de Berlin où j’avais vraiment été à la découverte d’une nouvelle communauté, de nouvelles idées sur le corps nu dans différents espaces.

Dans la société québécoise, on est habitué de voir les personnes nues seulement dans notre intimité. Il arrive parfois qu’on en voie dans des théâtres ou des bars de strip-tease, mais c’est très rare. Tandis qu’en Allemagne, il y a une tradition d’être nus en public autant sur les plages que dans les bars, sans que ça ait un rapport avec l’intime ou la sexualité. Mais il y a aussi une grande ouverture d’esprit dans les espaces publics, où des gens sont nus et partagent des choses très intimes, pas forcément par exhibitionnisme, mais parce qu’ils n’ont pas les mêmes préjugés par rapport au corps et aux frontières du public et du privé.

J’y ai habité durant deux ans et j’ai pu constater à quel point la société, les artistes, les travailleurs et travailleuses du sexe, les éducateurs et éducatrices sexuels sont dans une vraie recherche, ils sont des pionniers et pionnières d’une recherche sensuelle et sexuelle. J’y ai donc rencontré des gens qui m’ont énormément inspiré. Je voulais apprendre d’eux, ils m’ont enseigné leur pratique. Ils font maintenant partie de la portion vidéo du spectacle. C’est la seule façon que je pouvais m’imaginer des gens qui ne travaillent pas en théâtre ni en performance dans des salles de spectacles ou des galeries d’art, qui ont un autre style de vie, une autre carrière, mais je voulais les intégrer dans la pièce afin qu’ils puissent partager toutes leurs connaissances avec le public. À Montréal, on se considère assez libéré sexuellement alors qu’il y a encore du chemin à faire.

Dans notre société, on croit qu’il s’agit de pudeur, mais je crois que ça va plus loin que ça, c’est de la honte. On vit dans une société où il existe une matrice de honte, tout autour de nous. On ne s’en rend compte qu’au moment où l’on sort de cette matrice et où l’on voit que ça pourrait se passer autrement. On reçoit de l’extérieur des informations selon lesquelles on devrait se couvrir, se cacher, on a des parties publiques et des parties privées. Pourquoi? Quelle peur se cache derrière cette idée ?  

Vous avez suivi une formation en éducation sexuelle somatique; en quoi cette formation vous a été utile pour créer cette performance ? 

Après quelques essais en studio avec un danseur contemporain et ensuite un artiste de cirque, j’ai constaté que je n’avais pas les bons outils pour les amener là où je voulais. Je me sentais incapable de faire le travail que je voulais faire avec eux. Je ne pouvais pas faire en sorte qu’ils se sentent en sécurité. Je n’avais pas d’idée définie sur la manière d’être dans un espace professionnel et de travailler sur les notions d’intimité, de sensualité, de vulnérabilité, de sexualité.

Comment se sentir à l’aise, en confiance, en évitant de rappeler les mauvaises expériences du passé et de recréer systématiquement les mêmes problèmes ? On peut penser au problème de consentement qui est survenu avec le mouvement #metoo. Ça traite de la sécurité, de mauvaises habitudes qu’on a prises en tant que société dans les relations. Chaque rencontre est une négociation, il y a toujours un jeu de pouvoir entre mes besoins, mes volontés et mes désirs. Très souvent on ne s’en rend pas compte, on tombe dans de mauvaises habitudes, on se blesse soi-même, on blesse l’autre.

On est vraiment maladroits par rapport à tout ça. C’est le résultat d’une éducation qui nous a manqué dans notre société. En réfléchissant à la hiérarchisation, à la démocratisation du travail, j’ai souhaité me mettre dans une position de vulnérabilité pour partager mes expériences avec mes collaborateurs et collaboratrices. C’est fondamental, je me positionne à l’intérieur de la pièce que nous élaborons ensemble. Je suis concepteur, mais également interprète. 

Cette formation et les réflexions qu’elle a suscitées constituent donc la base de cette performance ? 

Concrètement, cela m’a donné les outils pour être « coordonnateur d’intimité ». Tout le monde possède des traumatismes, il faut partir de là. Avoir une empathie extrême les uns envers les autres. Pas seulement dans la sexualité, mais aussi dans la vie quotidienne. Il y a tellement d’informations dans nos corps, et nous ne sommes conscients que d’une part infime de ces sensations, de ces expériences que nous vivons.

Au lieu de partir du désir, de l’orgasme, de l’éjaculation, qui sont souvent au cœur de notre manière de comprendre la séduction, d’entrevoir la sexualité. C’est une autre façon de voir les relations, avec nous-mêmes, avec l’autre, mais aussi avec la planète. Pour mon prochain projet, je pense d’ailleurs cette fois plonger dans l’univers de la nature.