Ce projet est né d’un désir de transmettre la polka chinata, une danse bolognaise presque disparue. Vous souhaitiez la préserver de l’oubli ?

La polka chinata avait complètement disparu durant les années 1990, mais c’est en regardant une vidéo des années 1960 que Giancarlo Stagni, un professeur de Bologne que j’ai eu la chance de rencontrer, a décidé d’étudier et d’enseigner cette danse traditionnelle à ses danseur·euse∙s. C’est ainsi que la polka chinata est ressuscitée.

Ma fascination pour cette danse vient d’abord du fait qu’elle est dansée par deux hommes, ce qui est étrange et inusité pour une danse de salon. J’ai aussi été inspiré par son caractère hypnotique. Quand j’observais les danseurs, j’avais l’impression de regarder quelque chose de nouveau et d’ancien en même temps. En plus, parce qu’elle était pratiquée seulement par cinq personnes dans le monde, j’ai eu l’envie de la transmettre à une petite communauté pour la garder vivante. Comme elle est difficile et longue à apprendre, j’ai créé des ateliers visant à faire revivre cette tradition populaire en voie d’extinction.

Une anthropologue de Bologne m’a expliqué que la danse ne meurt pas, parce qu’elle n’est pas comme les plantes, les animaux ou les êtres humains. Elle a déjà la connotation d’être éphémère et intermittente. Parfois, des danses disparaissent et puis réapparaissent avec la génération suivante, comme ce fut le cas pour la polka chinata. Une danse disparaît seulement quand plus personne ne s’en souvient.

 

Qu’est-ce qui vous intéresse dans le fait de travailler à partir d’une danse codifiée ?

Je suis fasciné par les gens qui agissent à l’unisson ou exécutent une certaine activité ensemble. Ça n’a rien à voir avec la danse. Je sens cela aussi quand j’observe certains sports acrobatiques ou des gens dans un dîner. Je suis curieux de voir comment ils jouent. Quand j’approche une danse, qui, comme la polka chinata, existe depuis 130 ans, ou comme le « schuhplattler » que j’ai travaillé dans une de mes pièces et qui date de plus de mille ans, j’admire la dignité de ce qui a le pouvoir de survivre au temps. Je reconnecte avec une énergie plus ancienne que moi, une part mystérieuse de mon espèce qui me fascine. Aujourd’hui, deux hommes qui dansent ensemble, cela peut paraître controversé, mais ça ne l’était pas il y a 130 ans.

Depuis deux ans, à cause de la pandémie, on a beaucoup joué à l’extérieur, dans l’espace public, des parcs, et l’auditoire était souvent constitué de gens qui tombaient par hasard sur la pièce. Au début, ça les faisait rire de voir deux hommes qui dansent ensemble. Mais après deux minutes, les gens ne rient plus. Ils oublient que ce sont deux hommes et ne voient que la beauté.

 

Comment intégrez-vous la danse folklorique à votre écriture contemporaine ?

Il y a encore ce cliché persistant voulant qu’il existe une hiérarchie entre les genres de danse. En Italie, plusieurs croient encore qu’il faut passer par le ballet pour devenir danseur. On sait combien c’est faux et j’aime cette idée que la danse est multiple, diversifiée. C’est pourquoi j’aime enlever la musique traditionnelle pour révéler une nouvelle dimension à la pratique qui exige des heures d’entraînements, de sacrifices et d’efforts.

Je suis un grand admirateur du body art des années 1960 et 1970. À l’époque, les gens devaient se déplacer dans les théâtres pour voir les artistes qui violentaient leur corps. Aujourd’hui, tout est accessible sur les téléphones, mais les gens se déplacent encore au théâtre et pour encourager ce type de relations devenues presque exotiques, je veux montrer leur engagement dans leur art. Il y a une grande leçon à tirer des mouvements d’avant-garde des derniers siècles, où les artistes se sentaient libres d’intégrer toutes leurs découvertes à d’autres pratiques. C’est ce que nous faisons.

Les danseurs ont passé six mois à aller chaque semaine à Bologne, à deux heures d’où ils vivent, pour apprendre cette danse très exigeante, qui dure généralement 2 minutes et qu’ils dansent pendant presque 20 minutes. L’amour et le sérieux qu’ils ont mis dans cette pratique et son apprentissage sont très contemporains pour moi. Ils ont pris soin de quelque chose qui semble inutile à plusieurs ou dont on ignorait même l’existence.

J’ai été acteur pendant 10 ans et je n’ai jamais étudié la danse. Quand j’ai commencé à être invité dans les festivals de danse, c’est parce que mon langage artistique était considéré comme trop minimaliste pour les théâtres et trop baroque pour les galeries d’art. Le rythme du spectacle ressemble à celui de mon regard naïf en face de la chorégraphie. Je compose petit à petit, en ajoutant un élément à la fois, un peu comme un artiste visuel.

 

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