Comment l’idée de créer une œuvre autour du nettoyage vous est-elle venue ?

La dernière pièce qu’on a faite, aCORdo, était une performance très simple avec une forte approche politique, qui a eu beaucoup de succès. C’était pour nous une nouvelle forme, dans un cadre hors du théâtre, en relation directe avec le public. Avec Lavagem, on voulait créer une pièce où le public serait encore plus impliqué, ce qui n’a finalement pas été possible à cause de la COVID-19. Un des danseurs m’a dit qu’il aimerait travailler avec de la mousse. J’ai trouvé qu’il y avait beaucoup de potentiel à travailler avec la mousse, qui peut être très poétique, évoquer les rêves, l’espoir, la beauté ou encore la pollution. La mousse nous permet d’aborder indirectement le racisme : recouvrir un corps noir de mousse le teint en blanc, et en même temps, cela évoque la propreté. Mais de quelle propreté parle-t-on ici ? Ne s’agit-il pas de nettoyer la société en la débarrassant du racisme ?

On a beaucoup travaillé à partir de la danse-contact : comment les interprètes peuvent-ils trouver des points de soutien, danser ensemble avec leurs corps très rapprochés ? La pièce est très artisanale, nous y montrons le travail en cours. Lorsque nous préparons la mousse, nous voulions que tout le monde puisse voir le processus, nous ne voulions rien cacher.

 

Travailler avec des corps mouillés et glissants est un défi physique, acrobatique ?

Les corps mouillés glissent. Lorsqu’ils se touchent et sont portés par d’autres, ils risquent de ne pas tenir debout ou de tomber. Les interprètes sont ainsi placés dans une position périlleuse où ils ont besoin de l’autre pour continuer à bouger et à danser, mais ça rend aussi certains mouvements plus faciles, des mouvements qu’on ne pourrait pas faire si on ne glissait pas, ou pas de cette manière du moins.

La scène où les corps glissent les uns contre les autres rappelle aussi un accouchement, que je vois comme une invitation aux renaissances continuelles, aux batailles que nous devons mener, certains plus que d’autres. Une image reliée à la lutte qui se vit au Brésil, mais également n’importe où ailleurs. C’est difficile, ça prend beaucoup de force, mais cette lutte offre l’occasion de se réinventer, d’être placé dans une position de résistance. Cette même scène évoque les renaissances que la vie exige. Mais l’accouchement en particulier est une situation bizarre où la propreté clinique de l’hôpital rejoint le côté sale et animal de l’humain, avec le sang et la merde mêlés. Cette contradiction m’intéresse.

 

Vous travaillez avec des danseurs et danseuses de divers horizons, issu·e·s parfois des favelas. Quel est le parcours des interprètes de Lavagem ?

Certains travaillent avec moi depuis plus de 10 ans, connaissent mon langage et viennent de la danse contemporaine. D’autres se sont joints à la compagnie pour cette pièce. J’aime travailler avec des danseur·euse·s aux styles différents qui ne viennent pas forcément de la danse contemporaine. Une des danseuses vient de la pole dance, une autre a une formation de ballet, mais a aussi fait de la gymnastique olympique et de l’afro danse, un autre pratique le passinho, une danse issue des favelas de Rio. J’aime avoir cette variété d’interprètes.

Au Brésil, la société est très divisée : on étudie les techniques européennes et américaines de danse contemporaine, mais il existe un grand nombre de danses informelles qui ne sont présentées ni dans les théâtres ni dans les médias. Ces danses très fortes qu’on trouve dans la rue sont un mélange de plusieurs styles qui se transmettent de génération en génération. J’aime croiser ces danses traditionnelles complexes avec la danse contemporaine dans mon travail. Le mélange de cultures et d’influences enrichit la démarche, élargit les possibilités d’expression.

 

Comment votre formation en psychanalyse influe-t-elle sur votre approche en danse ?

J’aime offrir aux interprètes un espace ouvert pour s’exprimer et ne pas imposer mes idées. Je laisse beaucoup de place à l’imagination de chacun et chacune autour des sujets que nous abordons. Je souhaite créer un environnement où ils se sentent libres d’exprimer leurs rêves, leurs souvenirs, qui rejoint la relation de confiance qu’on établit dans un cabinet de psychanalyse où on est invité à laisser de côté la conscience. De la même façon, je dois porter attention aux moments où on parvient dans nos explorations et nos recherches à quelque chose d’intéressant, de signifiant et les saisir. Mon imagination fonctionne aussi comme ça : je fais confiance aux associations libres, à mes impulsions et à celles du groupe. Je ne cherche pas tout de suite à les comprendre.

 

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