Dans Cispersonnages en quête d’auteurice, vous abordez de front plusieurs questions éthiques très présentes dans le débat social ces dernières années. Quelle a été l’impulsion de ce spectacle ?

Il y a plusieurs années, j’avais partagé, avec ma complice de création Pénélope Bourque, l’idée de faire un projet autour de ces postures sociales desquelles émane un certain dogmatisme et qui alimentent beaucoup les conversations ces derniers temps. Puis, dans ma vie professionnelle, une situation est survenue qui a éveillé en moi des interrogations profondes sur ma place et celle de la compagnie dans le milieu théâtral.

De par son positionnement artistique et politique, Joe Jack et John possède une certaine posture au milieu des débats sur les questions de la représentativité, de l’accessibilité des plateaux et des publics ainsi que sur la pensée féministe et l’engagement militant. J’ai toujours travaillé à cultiver l’ouverture et l’échange, mais je sais que parfois le fait d’avoir une vision très forte freine le dialogue. On sait aussi, bien sûr, que les humains se rassemblent autour de visions communes et que, à la longue, celles-ci peuvent devenir plus étroites, plus rigides. Pour tenter de déplacer mon regard et d’en conserver la souplesse, je me suis donc plongée dans des lectures mettant de l’avant des visions très différentes de la mienne, plus à droite dans le spectre politique.

 

Vous travaillez depuis longtemps avec des interprètes neurodivergent·e·s et des distributions diversifiées à tous les égards. En quoi pensez-vous que le travail avec une équipe inclusive peut éclairer certains aspects de ces sujets délicats ?

Trop souvent, les questions éthiques sont abordées sous le joug de la peur. On redoute de partager son opinion, de parler de certaines choses, de se tromper… Je voulais saisir l’occasion de créer un espace plus libre. De plus, j’ai souvent eu l’impression que les discussions entourant les luttes identitaires et idéologiques vers plus d’équité et d’inclusion étaient en réalité plutôt exclusives… En fait, il y a plusieurs débats sociaux au sujet desquels je me dis : oui, c’est pertinent, mais si on invitait une véritable diversité d’intervenant·e·s autour de la table, dont mes collègues neurodivergent·e·s qui sont directement touché·e·s par ces enjeux, les conversations ne leur seraient pas du tout accessibles !

Je pressentais donc que de travailler avec une distribution inclusive contribuerait à déplacer la perspective. En s’assoyant autour de la table de travail avec l’équipe de Cispersonnages en quête d’auteurice, il a fallu définir les concepts et préciser entre nous un grand nombre d’éléments. Plusieurs fois, ces échanges ont suscité des débats difficiles, mais nous avons maintenu un climat de bienveillance qui permettait à tout le monde de s’exprimer. Dans ce contexte, les conclusions apparaissent moins évidentes et les points de vue ne peuvent pas être aussi tranchés. J’ai l’impression qu’une grande partie du public se retrouvera dans les réflexions qui animent les personnages de la pièce.

 

Chez Joe Jack et John, le texte est bien souvent élaboré en collectif au cours des répétitions. Pour Cispersonnages en quête d’auteurice, votre nom apparaît comme autrice principale. Qu’est-ce qui vous a amenée à prendre en charge l’écriture de ce spectacle ?

Joe Jack et John est une compagnie de recherche et de création, donc ça fait partie de notre démarche d’œuvrer constamment à renouveler nos modèles et nos méthodes. Je crois qu’une certaine précarité est un moteur de dépassement, un terreau fertile à la création. J’utilisais cette métaphore dans Dis merci : il faut veiller à ne pas se caler dans un fauteuil trop confortable. Lorsqu’on se tient sur un tabouret, dans une position un peu bancale, on est nécessairement amené à rester dans l’action, plus vivant, vigilant, en phase avec le monde.

Dans le parcours de la compagnie, je me suis toujours vue comme une passeuse, celle qui va chercher le micro pour le tendre aux autres. Cette fois, j’ai voulu me donner une autre place. Ce spectacle est sans doute le moins collaboratif de l’histoire de la compagnie et peut-être aussi le moins éthiquement acceptable. À plusieurs égards, j’ai fait des choix différents. Notamment sur le plan du texte, qui, bien sûr, est nourri des échanges avec l’équipe, mais a été vraiment été construit à partir de mes préoccupations. Pour la première fois, je mets des mots dans la bouche de mes comédiennes et comédiens !

 

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