ODE s’incarne à l’unisson des corps, mais aussi des voix. Parlez-nous de l’intégration de ces chants dont les paroles simples et accrocheuses deviennent vite d’étranges vers d’oreille.
Le désir de chanter ensemble est arrivé spontanément en répétition. J’aime croire qu’en se permettant de laisser surgir les premières idées, de les exposer et de les considérer, on est en contact avec une forme d’inconscient collectif. J’aime croire que chacun·e porte une part de la matière du spectacle en soi. Au tout début du processus, un interprète avait une chanson pop très connue en tête, avec de courtes phrases simples et entraînantes. En apparence, rien de plus classique qu’une chanson d’amour. Toutefois, en prêtant bien attention, les paroles rappelaient une supplication, une prière ou même un appel au divin. Il y a quelque chose de sacré dans cet abandon total de soi, dans la recherche de cet autre pour combler son mal-être. Cette ambiguïté, entre la naïveté d’une chanson « catchy » et « sexy », et l’appel au divin qu’elle peut sous-entendre, nous a tout de suite intéressé·e·s.
Cette recherche de félicité et de transcendance collective était aussi à la base du travail de création des Jolies choses. Comment l’approchez-vous cette fois ?
Outre le rapport à la machine spectaculaire, à la performance et à la virtuosité, il y avait effectivement un désir de transcendance au niveau de l’état de conscience des interprètes dans Les jolies choses. Cette transcendance, on l’a cherchée par le mantra gestuel répété et l’exigence de la partition qui provoquaient naturellement un décollement du réel. Mais tout ça demeurait très abstrait. Dans ODE, il y a encore cette idée d’un chœur et d’une partition périlleuse, mais nous l’appliquons de manière beaucoup plus franche et directe, par répétition d’une forme de mantra vocal. Nous nous sommes inspiré·e·s des groupes de croissance personnelle qui font différents rituels pour expulser et expurger différents blocages. J’aime à penser ODE comme un show à la frontière du spectacle rock, du rituel païen et du groupe de croissance personnelle. Nous nous intéressons tout particulièrement au phénomène de possession de soi au sein du fantasme collectif. Il y a également un rapprochement à faire entre la fièvre religieuse et celle du divertissement.
En explorant un rapport au spectaculaire qui fascine et attire, en même temps qu’il repousse et inquiète, ODE semble s’inscrire au seuil d’un renversement. Lequel ?
Mon travail actuel continue d’explorer la question du leurre, mais cette fois à travers le prisme des états d’extase ou de fascination qu’on peut expérimenter dans un show rock comme dans une procession païenne ou un rituel de croissance personnelle. ODE est une recherche sur les capacités attentionnelles s’érigeant dans la périphérie de ce phénomène. Je me demande notamment comment jouer avec les mécanismes de la fascination pour conserver l’attention – et la tension – afin de révéler non seulement ce qui se joue derrière, mais ce qui doit être sacrifié pour que le jeu continue. Je me demande comment arriver à être « possédé·e » par une proposition jusqu’à ce que les sensations ou les images inconscientes puissent surgir à la conscience. C’est paradoxal, car c’est par l’aliénation que l’attention opère, mais c’est aussi par l’attention que peut se déjouer l’aliénation. Je me demande comment opérer un renversement à cet endroit-là.
De quel sacrifice est-il symboliquement question ?
Je cherche encore. Mais je sais que pour que cette apparente harmonie puisse advenir, il y a nécessairement des sacrifié·e·s. Il faut qu’il y ait quelqu’un ou quelque chose qui en paie le prix. Ce peut être la vérité, une personne, une communauté, un objet, un bouc émissaire. Il faut que l’ordre soit rétabli par un rite sacrificiel, qu’il soit abstrait ou concret. À l’heure actuelle, je me demande comment renverser ou faire trembler les faux-semblants de cette image de perfection dans une esthétique sirupeuse.