L’esthétique de Creation Destruction semble traversée par l’imaginaire propre à la pandémie. Comment celle-ci a-t-elle affecté le processus de création ?

Lorsque la pandémie a commencé, j’avais déjà fait deux cycles créatifs complets avec les interprètes. La pièce était alors très différente de ce qu’elle est maintenant : les danseur·euse·s étaient presque constamment en contact étroit les un·e·s avec les autres, iels échafaudaient des structures…

Une fois la pandémie commencée, nous avons fait nos répétitions en ligne. Du processus entamé, j’ai extrait la matière chorégraphique permettant le maintien d’une distance sécuritaire, en laissant de côté la manipulation d’objets. Le travail de vidéo de United Visual Artists a aussi été influencé par le processus de création vécu en ligne, puisqu’on y retrouve la tendance à focaliser l’attention sur les visages et les mains de nos interlocuteur·trice·s à l’écran.

Pendant l’été 2020, nous avons commencé à répéter dehors. Alors que Creation Destruction avait été conçue dès l’idéation comme une pièce d’extérieur, mon intention préalable était de travailler d’abord en studio. Créer en plein air a été une révélation ! Nous dansions sur du béton, de l’herbe, des surfaces inégales… La gestuelle devait s’adapter à n’importe quel terrain. Influencée par le travail de la chorégraphe Yvonne Rainer, j’ai pris comme point de départ des actions quotidiennes, marcher, courir, s’asseoir, se lever.

Le fait de créer la pièce à ciel ouvert, dans un espace non circonscrit, a fait en sorte qu’elle a pris de plus en plus d’ampleur. Les spirales tracées par les danseur·euse·s peuvent en effet s’élargir à l’infini au son de la musique. 

 

D’un processus de création marqué par le confinement a émergé quelque chose qui est tout sauf contenu, y compris dans la musique.

 La musique participe beaucoup à générer une expérience viscérale. Alors que le son de Godspeed You ! Black Emperor tend à être caractérisé par un crescendo qui finit par se défaire, j’ai demandé aux quatre membres du groupe participant à Creation Destruction de composer une trame sonore qui évoque une spirale s’élargissant à partir du centre, comme le fait la gestuelle. Les instrumentistes à cordes et les chanteur·euse·s qui ont rejoint le groupe sur scène contribuent à créer une impression d’ouverture totale.

 

Présentée pour la première fois en bordure du lac Ontario au Festival Luminato à Toronto en 2022, Creation Destruction s’inscrira dans l’esplanade Tranquille au FTA. Comment cet espace va-t-il imprégner la pièce ? 

Même si l’esplanade Tranquille est un lieu très urbain, entouré·de gratte-ciel, on ressentira aussi certaines des sensations éprouvées au lac Ontario — la lumière qui change, le ciel au-dessus de nos têtes, la brise sur la peau. Par ailleurs, Creation Destruction est pensée pour le crépuscule. Le public sera donc installé de manière à pouvoir contempler le coucher de soleil se profilant derrière l’installation et les interprètes. Et quand la nuit tombera, les lumières environnantes s’ajouteront aux pixels sur l’écran.

 

C’est ta deuxième collaboration avec United Visual Artists (UVA), qu’est-ce qui vous relie ?

UVA et moi avons en commun une approche minimaliste, une tendance à retirer ce qui est superflu d’une œuvre. Au départ, le travail de vidéo était très figuratif et est devenu plus de plus en abstrait tout au long du processus de création. On retrouve cette simplicité dans le vocabulaire chorégraphique, qui se cantonne à une trentaine de gestes. Ce dépouillement permet de proposer une expérience méditative, qui se transmet de manière kinesthésique aux corps des membres du public.

 

Il vous arrive de dire que les œuvres chorégraphiques sont des entités vivantes en transformation constante… Aujourd’hui, que diriez-vous sur la thématique de Creation Destruction ?

L’une de nos sources d’inspiration, aux interprètes et moi, est le livre A Paradise Built in Hell de l’écrivaine féministe et environnementaliste étasunienne Rebecca Solnit. Ce livre met de l’avant les communautés qui se forment à la suite de catastrophes ainsi que la générosité, la coopération et le soin qui émergent de ces moments de transformation.

Creation Destruction porte sur l’absence de séparation entre créer et détruire. Nous, les humain·e·s, sommes capables des deux. La pièce constitue un prisme à travers lequel il est possible de faire face aux émotions engendrées par le fait que nous sommes en train de détruire le monde et d’éprouver tout de même de l’espoir. En effet, la créativité et l’action collectives peuvent contribuer à inverser la tendance actuelle. La pièce met en dialogue une expérience de vulnérabilité et un processus de conscientisation environnementale. Il s’agit d’un appel à la bienveillance.

 

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