Vous avez de longs processus de recherche et de création. Que souhaitez-vous transmettre de votre rapport au temps ?

C’est très important pour moi de passer beaucoup de temps avec quelque chose et cela me permet de savoir, de sentir si je suis à l’aise avec telle ou telle chose. Je n’aime pas aller en studio et me dire qu’en deux heures, je dois trouver du matériel. C’est plus naturel pour moi d’avoir 10 heures devant moi sans but précis, de laisser vivre les questions qui me trottent dans la tête et de faire confiance au fait que cela va m’amener dans la bonne direction.

Ce que je partage avec le public, c’est un amalgame, une sorte de système de pensées avec lequel j’ai passé suffisamment de temps pour pouvoir m’y promener en public de différentes façons. Ce qui m’importe, c’est de devenir très intime avec ces réflexions et de partager cette intimité-là, c’est-à-dire de partager le fait d’être en train de travailler sur une question.

 

Une certaine horizontalité se dégage dans le traitement des matières et des dimensions. Cette écologie est-elle reliée au temps dont vous avez besoin pour créer et au choix d’une durée de trois heures de performance ?

J’accueille beaucoup d’informations dans mon processus. Cela ne vient pas à moi de façon hiérarchisée, mais plutôt horizontale. Les questions ou les sujets peuvent avoir autant de poids qu’une couleur, une texture, un objet, une odeur, etc.

En général, je me donne trois ans pour faire une pièce et tout ce qui se passe entre deux projets est important, m’éclaire sur ce que je ferai et d’où cela vient. À l’occasion d’une carte blanche au Musée d’art contemporain de Montréal, dans le cadre de l’exposition Françoise Sullivan, j’ai expérimenté des durées de trois heures de performance, et j’ai adoré ça. J’ai senti que c’était vraiment la bonne durée pour moi. Comme une manière très goûteuse d’expérimenter. Je m’amuse beaucoup.

Bien sûr, le format d’une heure de mes pièces précédentes n’était pas une torture. Et j’adore l’espace du théâtre, les éclairages. Mais j’avais envie de me défaire de ces cadres, de remettre en question, de remettre en jeu toutes ces contraintes formelles et d’être très légère techniquement. Je ne suis pas la première à souhaiter éprouver une longue durée. Ralentir est extrêmement sous-évalué dans le monde. C’est ma manière de m’engager avec le temps et de me respecter.

 

La notion de confiance habite cette pièce. Comment travaillez-vous concrètement cela ?

Je ne sais pas précisément. Mais je sais que cette notion de confiance est là, que cela transpire de partout et va influer sur les choix que je vais faire. Si je décide de travailler sur cette question, c’est pour une bonne raison, c’est parce que j’ai vraiment besoin de travailler sur ça et je ne pense pas être la seule, donc je fais confiance au fait que cela trouvera une résonance auprès du public. Je ne cherche pas à illustrer quoi que ce soit.

  

Dans chacun de vos projets se manifeste un rêve de société. Pourrait-on parler d’un désir de ramener la marge au centre ou bien de faire exploser le centre ? 

Oui, absolument. Je pense que ce rêve de société n’est ni défini ni écrit. Chaque projet que je développe, chaque conversation que je peux avoir, m’informe davantage sur les choses qui m’occupent et me préoccupent. Mes intérêts portent sur le fait de créer plus d’espace selon des perspectives plus nombreuses, et ce, pour pouvoir répondre à différentes manières d’être et de vivre.

Il semble assez évident que nos sociétés ont été construites sur des modèles d’efficacité par des personnes qui, en général, ne sont pas saines. Ces mêmes personnes prennent d’importantes décisions qui influencent nos vies. C’est effrayant. Cela a peut-être l’air condescendant dit comme cela, mais il y a assurément un désir de ma part que l’on soit tous et toutes plus conscient·e·s de cette dynamique. C’est évident que cette restriction, que ce manque d’espace est à la base de maladies, de désordres. Tout mon travail vise à un relâchement des rênes sociales, des comportements, et dans ce sens, vise à générer plus d’espace. Il me semble que c’est la seule manière d’évoluer ensemble : créer plus d’espace pour chacun et chacune. C’est une proposition qui peut sembler idéaliste, et en même temps, pas du tout.

 

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