Reminiscencia résulte de la recherche, pendant la pandémie, d’une forme narrative basée sur des photos. Comment avez-vous conçu la dramaturgie de cette expérience qui, au départ, était 100 % virtuelle ?

Au départ, elle était faite pour une seule personne à la fois, comme Paranoïa, dans laquelle je guidais la visite d’un lieu, via WhatsApp, à la recherche d’un trésor. Elle s’est construite de manière itérative dans le dialogue avec les gens à qui je l’offrais et qui en faisaient ensuite cadeau à d’autres personnes enfermées ailleurs dans Santiago. Le processus de recherche a été nourri par leurs feed-backs émotionnels. Ensuite, j’ai proposé sur Instagram de vivre l’expérience pour me confronter à des inconnus en Bolivie et en Argentine, et j’ai osé contacter des personnalités du monde des arts qui m’ont alimenté de théories sur le théâtre immersif ou documentaire, la culture populaire, l’avant-garde chilienne tardive, etc.

J’ai construit Reminiscencia en considérant que ma parole était le seul moyen d’amener du vivant dans la sphère virtuelle. Pour rappeler quelque chose du théâtre, il fallait que tout sorte de moi sans aucune écriture. J’ai assumé l’idée que la scène est vivante, que le temps de l’œuvre est déterminé par ma respiration, mon état du moment. Le texte s’est coagulé en quelque sorte au fil des représentations. Je le porte tellement qu’il surgit comme un geste scénique. Et quand je ne suis pas contraint par des sous-titres, je varie le récit, les archives que je montre… Le flux de l’œuvre doit rester libre, comme celui de la mémoire.

 

Les présentations en salle ont-elles changé quelque chose ?

Amener l’œuvre en présentiel lui a donné une tout autre dimension. La première fois que je l’ai jouée, Internet est tombé en panne au début du spectacle. J’ai dû m’en remettre à ma narration orale, créer une mini-œuvre à partir des archives dans mon ordinateur. Le quatrième mur a disparu et l’écran est devenu comme un feu au coin duquel les gens se réchauffaient en écoutant une histoire. Il y a eu des moments où ils riaient, d’autres où leur cœur se brisait. Je les sentais avec moi dans ce voyage à la recherche de quelque chose, d’un sens qui émerge dans le croisement des anecdotes.

Et je me suis rendu compte dans le présentiel que l’œuvre ne pointe ni ne dénonce personne, qu’elle traite simplement de la révolution de la tendresse. Elle parle d’amour, de relations familiales, d’une vie à sortir dans la rue pour réclamer le droit à l’eau, au logement, à l’éducation… J’ai 35 ans, j’ai commencé à lutter à l’âge de 14 ans et c’est ce que j’amène sur scène. Je suis en train de créer une légion de personnes pour cette révolution de la tendresse.

 

Mémoire et territoire sont au cœur de vos œuvres. En quoi sont-ils reliés ?

Les Incas désignaient le Chili comme le bout du monde et n’ont rien voulu y construire en hauteur. La communauté mapuche, à laquelle je m’identifie, n’a pas d’édifices patrimoniaux. La nature étant notre patrimoine spirituel, la cartographie du territoire est transcendante. Il y a aussi beaucoup de sédiments au Chili. Si je creuse un trou, je trouve divers types de minéraux, mais aussi énormément de mémoires. Entre autres, les ossements des innombrables personnes disparues à cause de la dictature ou du narcotrafic. L’observation du territoire et des détails qui le marquent offre la possibilité de tisser une réalité, de conscientiser ce que le pays a gardé sous terre.

Quand je montre un lieu en des temps différents, j’évoque des morts différentes, dont certaines sont terribles, traumatiques. Quand je m’interroge sur le passé d’un lieu, j’entre dans l’histoire et je tente de créer des analogies pour comprendre qui nous sommes. Si l’on regarde les détails avec attention, on peut trouver des réponses sur la façon de reprendre du pouvoir sur nos vies, de devenir des êtres humains. Sinon, le narcotrafic et la crise économique nous terrassent et nous rendent esclaves. Ici, les gens travaillent 45 heures par semaine pour manger ; ils sont très tristes.

Je collabore en ce moment avec un homme de 83 ans, qui, grâce au processus de création, a découvert des lettres lui ayant permis de tisser un lien avec un pan totalement inconnu de sa famille. C’est une autre preuve que le passé n’est pas si loin qu’on le croit et qu’il est super important de recommencer à le raconter parce que c’est ainsi que nous pouvons construire un meilleur futur.

 

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