Vous avez commencé la création de The Making of Pinocchio en 2018, alors qu’Ivor amorçait une transition de genre. Comment votre processus a-t-il évolué au fil du temps ?

Ivor MacAskill : Lorsque j’ai commencé à explorer l’idée de faire une transition de genre, Rosana et moi avons ressenti le besoin de prendre du temps pour réfléchir à cette expérience que nous vivions à la fois comme couple et comme duo artistique. Jusque-là, beaucoup de nos projets communs abordaient les questions du genre, de la sexualité et du queer, mais toujours à travers nos identités lesbiennes. Les changements que j’envisageais allaient donc nécessairement modifier plusieurs aspects de notre relation. Au départ, nous voulions simplement être sur un plateau ensemble et voir ce qui allait se passer. Au fil des explorations, il nous a semblé qu’il y avait là quelque chose d’utile et d’intéressant à partager avec d’autres personnes.

Rosana Cade : Cela a été un long processus parce qu’en plus du travail de création, nous avons effectué un cheminement personnel important. Le travail nous a permis de développer notre propre vocabulaire autour de cette expérience. Au-delà du langage médical, qui devient omniprésent, il nous est rapidement apparu très stimulant d’utiliser la création pour inventer de nouvelles manières de communiquer et de réfléchir sur la transidentité, le genre et les relations.

 

En quoi le personnage de Pinocchio et l’univers du conte ont-ils été inspirants pour vous ?

I. M. : Au début, c’était un peu la blague : Pinocchio rêve de devenir un « vrai » garçon, tout comme un homme trans veut devenir un « vrai » garçon… Les guillemets sont très importants ! Nous nous sommes amusés avec cette idée et elle nous est apparue de plus en plus intéressante. Pinocchio est un être étranger au monde, tentant par tous les moyens d’y trouver sa place. Il doit sans cesse faire la démonstration qu’il mérite de devenir un « vrai » garçon. Du point de vue médical, on se sent un peu comme ça lorsqu’on entame une transition. Il faut en quelque sorte prouver la validité de son identité afin d’avoir accès à la potion magique ! Ces analogies très riches nous ont servis pour aborder certaines des situations que nous vivions, mais toujours avec un côté légèrement décalé.

De plus, avec son petit nez de bois qui s’allonge, Pinocchio est reconnu pour ses mensonges. C’est un autre aspect qui nous intéressait puisqu’il y a encore et toujours ce discours autour de la question du genre, accusant les personnes trans de mentir, d’inventer une réalité qui n’existe pas.

R. C. : Bien sûr, il y avait aussi la volonté de se réclamer de cette histoire canonique, populaire, pour partager un récit queer. Symboliquement, c’était quelque chose d’important. Mais surtout, je dirais que l’univers du conte nous a permis de profiter de toutes les possibilités qui surgissent lorsqu’on entre dans le fantastique. Le pouvoir de l’imagination est une notion importante dans notre capacité à rêver un autre monde.

 

The Making of Pinocchio intègre la vidéo et plusieurs techniques cinématographiques. Que vous permet ce mélange de moyens d’expression ?

Ré C. : Une des questions sur lesquelles nous avons travaillé est celle de la vérité. Nous nous sommes demandé comment inscrire nos rêves et nos fantasmes dans la réalité. La vérité a toujours besoin d’un cadre et d’un contexte pour exister. Alors, qu’est-ce que ça veut dire de raconter une histoire trans et dans quel cadre peut-elle trouver sa vérité ? Les caméras et les écrans nous ont permis de mettre en scène ces préoccupations. Rapidement, on s’est mis à jouer avec le procédé de la perspective forcée et à expérimenter plusieurs possibilités. Cette technique crée un effet, une illusion, qui paraît comme vraie à l’écran et ce décalage possède un immense potentiel d’évocation. Puisqu’on est au théâtre, on peut à la fois montrer l’image vidéo et ce qui la compose en réalité. Deux perspectives sont mises de l’avant au même moment.

I. M. : Nous voulions aussi dialoguer avec une pratique de plus en plus répandue. Sur YouTube, on trouve plein de vidéo de gens qui filment leur transition dans le but de la documenter, jour après jour, au moment de la prise d’hormones par exemple. Comment peut-on capturer un changement ? Celui de la transition, mais aussi celui de la représentation, du processus de création qui évolue au fil du temps. Le théâtre est un moyen d’expression tellement immédiat, alors que les images filmées laissent voir une temporalité.

 

RETOUR AU SPECTACLE