Quelle est votre relation avec le public dans cette performance ?

Je ne vise pas à interroger le public. Certaines personnes ont des questions ; avec d’autres, nous parlons de tout et de rien ; parfois, nous abordons des sujets qui nous touchent profondément : l’amour, les enfants, le militantisme politique… Puisqu’il s’agit d’une performance, nous avons le pouvoir de poser des questions que nous ne poserions pas si nous nous rencontrions au hasard, dans la vie quotidienne. Il y a un certain degré de cocréation dans chaque rencontre. Même les passant·e·s qui m’ignorent complètement ou qui me font sentir que je les dérange me nourrissent. Tous et toutes me donnent du carburant pour poursuivre dans ma compréhension de ce que je suis en train de faire et m’aident à atteindre une forme de clarté. Il est difficile et délicat de faire face à un membre du public qui a des attentes ou qui sent que, puisqu’il est venu, il doit faire et obtenir quelque chose. Il n’y a rien de particulier à voir ni à tirer de cette performance. Mon désir est que le public soit témoin de la scène entière, ces passant·e·s, cette femme que je suis, ce lieu… L’offre est de devenir le témoin de cette situation et de soi-même en relation avec tout ce qui est présent, comme dans toutes les œuvres d’art. Cette performance en est simplement une nouvelle configuration, mais elle n’a rien de neuf.

 

Comment cette performance aborde-t-elle le sujet de la migration ?

J’avais à l’esprit les réalités de la migration de masse et la notion de frontière dès le début de la création. Ces sujets entrent dans différents registres selon le lieu où se déroule la performance et les interactions sociales dans lesquelles je m’engage. Ils sont modelés par le lieu. Lors de ma performance dans un quartier d’Ipswich en Angleterre, peuplé en majorité de personnes immigrantes, plusieurs enfants roumains ont passé la journée avec moi, à m’aider à construire la maison. Le public pensait que ces enfants perturbaient la performance, mais ce n’était pas du tout le cas. Cette journée-là, nous existions dans cet espace. Une fois la maison construite, je me suis absentée un moment et j’ai laissé les enfants dans la maison. Puis, nous l’avons démontée et l’idée m’est venue que nous avions construit une tanière. Je suppose que si je faisais la performance demain, elle aurait une forte résonance pour moi avec les personnes déplacées.

 

Quelle est la part chorégraphique de votre performance ?

Ma tâche chorégraphique est de construire la maison, de l’habiter et de me sentir à l’aise.. Cela me prend un certain temps. Je m’entoure de plantes, car j’ai besoin d’un jardin pour me sentir comme à la maison. J’apporte également une photo de mes parents avec moi. L’une de mes histoires familiales résonne particulièrement avec ma performance. En 1965, mes parents ont voulu faire un séjour dans l’île de Wight. Mon père, puisque ma mère était enceinte de moi, voulait s’assurer que tout allait bien se passer et a écrit à l’hôtel où ils avaient réservé avant de partir pour leur signaler qu’ils étaient des gens « de couleur ». Il a reçu en réponse une lettre de l’hôtel l’informant que la réservation devait être annulée. Tous les jours, dans diverses situations, je sens que je dois écrire une lettre pour demander la permission d’être là. Mon fils, Solomon Hughes, appartenant à une autre génération, ne porte pas ce poids, ce sentiment de non-admissibilité. Il a commencé à s’impliquer dans la performance en la photographiant, au départ, à des fins documentaires. J’ai compris qu’en réalité, il est important qu’il soit témoin du fait qu’avec cette performance, je dis : « Allez, papa et maman, allez Solomon, nous pouvons aller où nous voulons, personne ne nous en empêchera, regardez, nous allons être là où il nous plaira, je vais même y construire une maison. » La chorégraphie est composée de moments où je revendique un espace. Le sentiment de la revendication n’est pas présent durant toute la performance et tient au fait de donner une visibilité. Le moment où je peins sur le sol la première ligne du carré dans lequel je vais construire la maison est un moment fort pour moi. Il en va de même lorsque j’enfile une robe. Je ne sais pas ce que signifie cette robe, mais je la mets, puis je me tiens debout sur un socle, et je me sens comme si je plantais un drapeau dans le sol.

 
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