Quelles sont les origines de Traces – Discours aux Nations Africaines ?

Patrick Colpé, qui dirigeait le Théâtre de Namur, a commandé un texte au penseur sénégalais Felwine Sarr, que je connaissais pour l’avoir invité aux Récréâtrales en 2016. Entre lui et moi, immédiatement, un prodigieux sentiment de fraternité — intellectuelle, poétique, artistique — s’était établi. Ainsi, à la demande de Patrick Colpé, Felwine a répondu qu’il écrirait bien ce texte si je le jouais. Ce texte est donc fondamentalement un cadeau.

Pourtant, quand j’ai lu la version achevée de Traces, le texte ne s’est pas dévoilé à moi. J’étais devant un mystère que je n’arrivais pas à percer, qui résistait à ma façon de travailler. Alors un jour, tout en sachant que je n’avais pas accès aux mystères au cœur de son écriture, j’en ai fait une lecture publique sous un manguier, dans une cour familiale. Or, quand je me suis tu, j’ai senti un grand frémissement dans l’assemblée : le mystère agissait même si je ne le comprenais pas.

J’ai entrepris un travail avec l’auteur et metteur en scène Aristide Tarnagda dont je suis très proche, qui a fait en sorte que le texte se révèle et cette révélation est venue avec la décision de commencer par la phrase : « J’ai conquis la parole. » Et c’est par cet acte de conquête que j’ai pu partager Traces, parce que sa représentation est essentielle ; sa révélation naît de son partage.

 

Que dit Traces ?

C’est l’histoire d’un homme qui, en traversant le désert et la mer pour vivre la misère en Europe, a vécu un parcours initiatique. Il revient chez lui en Afrique et nous adresse la parole. Ce nous, c’est d’abord sa famille, ses frères et sœurs, mais ce nous prend vite la dimension du continent. En fait, ce nous, hors de tout repli identitaire, ne cesse de glisser, pour vite englober la diaspora puis, notre maison commune, l’humanité, car c’est en Afrique qu’elle est née. Ce nous part de l’intimité du soi vers le plus grand que soi.

C’est une invitation à l’insurrection contre les oppressions, mais surtout à une élévation spirituelle. Et ma conception du spirituel s’incarne dans cette image de Sony Labou Tansi : si l’humain parle, si l’humain écrit, c’est « pour avoir un peu plus de ciel sur les épaules ». L’Afrique est le lieu d’origine des humains et, contrairement à Kronos, elle ne veut pas dévorer ses enfants, mais réenfanter le monde. Cet homme demande à l’Afrique de s’ancrer dans ses origines, dans les origines du temps, pour faire ce qu’elle sait le mieux faire.

 

Que signifie ce spectacle dans votre parcours d’artiste ?

Cet homme, c’est un peu moi. J’ai un jour quitté mon pays et mon métier de professeur pour aller vivre à Paris et à Bruxelles. Puis je suis revenu à Ouagadougou pour y fonder une compagnie de théâtre, puis le festival Les Récréâtrales. Je connais ce parcours et le chemin du retour — que j’ai transmis dans mon art par bouts de texte, par fragments.

Avec Traces, la parole est tout offerte. Ce spectacle est pour moi une quatrième prise de parole en solo, après avoir partagé des textes d’Aimé Césaire, de Dieudonné Niangouna et de Sony Labou Tansi. Or, en présentant Traces, je me rends compte que ces auteurs, tout en ne niant jamais les blessures et les douleurs, sont des pacificateurs de la mémoire. C’est ce que j’ai profondément ressenti lorsque, au Festival des francophonies en Limousin, j’ai incarné les quatre textes en une seule soirée.

 

Présenter Traces en Amérique du Nord, au Québec, qu’est-ce que ça signifie ?

Quelles sont nos expériences communes ? Quels sont nos liens ? Le Canada a une image traditionnellement bienveillante, mais à cause des mines d’or de compagnies canadiennes en Afrique, cette image se ternit. Je me pose la question : en quoi la prospérité et le confort du citoyen canadien lambda sont-ils en lien avec les conditions de vie d’un citoyen du Sahel ? Traces n’est pas une performance figée ; à la suite d’une réaction du public, il peut y avoir improvisation.

En fait, ce spectacle est une causerie où la parole n’a pas à être à sens unique. Le théâtre, pour moi, est un espace de discussion sociale. Et la matière de la discussion doit être traitée comme telle. Le théâtre n’a aucun avantage à être pensé selon des critères de coterie esthétique ou de rentabilité marchande. Il est l’installation d’une parole entre la scène et la salle.

 

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