Comment travaillez-vous en studio ? Qu’est-ce qui vous relie sur scène ?

Malik Nashad Sharpe : Nous faisons ensemble. Nous sommes investi·e·s ensemble et intéressé·e·s par quelque chose qu’on laisse advenir. Notre connexion est assez complexe. C’est une sorte de grand réseau, une fusion de différents éléments. Je suis un fan d’Ellen, de ses intérêts, de sa manière de faire, de s’investir.

Dans le studio, on cherche, on essaie, mais on ne tente pas nécessairement de faire la même chose ou de se ressembler. On n’essaie pas de se défaire de qui nous sommes comme personnes et artistes. Je pense qu’on laisse nos différences s’occuper de tout un tas de choses et on reste ouvert à ça, car ces différences nous semblent précieuses. On joue avec des rôles, avec des archétypes. On n’écrit pas une pièce de théâtre avec des personnages. Ils émergent du matériel expérimenté. Par exemple, nous pouvons nous mettre à chanter, de façon complètement aléatoire, pour réaliser au final que ça doit être un opéra. Ou encore, si on décide de dessiner quelque chose d’invisible, on devient les peintres d’un autre monde.

Ellen Furey : Je réfléchissais à ce qui devenait possible lorsqu’on travaille à deux. Il y a quelque chose d’intéressant dans le contraste de nos pratiques respectives. Cela crée des résultats inattendus, des idées et des trajectoires que nous n’aurions pas abordés seul·e·s. Ensemble, une dynamique apparaît parce que cela se passe au point d’intersection de nos deux mondes. Il ne s’agit pas de fusionner nos univers et de devenir un, de suivre une voie ou d’adopter une configuration de connaissances. On tente de maintenir une autonomie. On imagine qu’on joue tous les mêmes personnages. La relation qui apparaît, c’est comme le dédoublement d’un même chemin, un voyage. Je suis à la fois dans mon monde tout en étant accompagnée par Malik dont la présence témoigne de ce que je fais. Donc, nous partageons le parcours de ce rituel.

 

Dans SOFTLAMP.autonomies, vous parliez d’une « résistance aux normes ». Là, vous semblez adopter une attitude très ouverte dans le sens de tout accueillir, de presque dire « oui » à tout. Est-ce une contradiction ou une valeur dans votre travail ?

N. S : Oui, on dit oui ! C’est intéressant de dire oui à l’inconnu, c’est excitant d’être à l’endroit du non-savoir. Les êtres humains essaient toujours de mettre les choses dans des boîtes, de les catégoriser. Mais il y a d’autres manières de faire et d’être qui sont tout aussi excitantes et rafraîchissantes. On n’a pas toujours besoin de savoir pour faire.

E.F. : Le mot « bienveillant » me vient à l’esprit. Avoir un regard bienveillant sur le monde et créer à partir de là, de cet angle de vue. Cette idée de résistance, je ne la sens pas dans notre deuxième projet. Et les normes, je ne sais plus trop ce que cela signifie depuis ces deux dernières années. Je parlerais plutôt d’un intérêt pour une certaine vivacité, une sensation de mystère et d’expansion.

 

Vous semblez avoir un goût pour ce qui ne se voit pas. Qu’est-ce qui vous intéresse dans ce rapport au monde de l’invisible et à sa représentation ?

N. S : C’est une grande question ! Pour moi, il ne s’agit pas tant de rendre visibles les choses qu’on ne voit pas. Parce que les choses invisibles peuvent aussi être visualisées. La seule façon pour qu’elles deviennent visibles, c’est de croire qu’elles sont possibles. C’est la seule solution.

E.F. : Ce serait plutôt comment accéder au mystère des choses, accéder à l’imagination sans la cristalliser nécessairement. Parfois les choses sont tellement réelles qu’elles ne sont pas visibles ! On partage des indices avec le public. Il est témoin de notre manière d’essayer de rendre visible ce qui ne l’est pas pour tout le monde.

 

Dans votre manière de vous engager dans le mouvement, il y a tout autant le plaisir de la maîtrise et, d’une certaine manière, celui de s’en moquer. Y a-t-il place à l’espièglerie dans votre travail ?

N. S : Absolument, être espiègles, on aime ça ! Je ne sais pas si c’est parce que nous avons fait notre première pièce à la dure, dans le sens où elle était difficile à exécuter, pas particulièrement agréable à danser… Quand on fait une pièce, c’est du travail, c’est du plaisir, c’est du jeu, et peut-être que cette fois-ci, on est surtout dans le jeu. Et on laisse le matériel parler de lui-même, construire sa propre logique.

E.F. : Oui, tout à fait, il y a de l’espièglerie, des blagues, des plaisanteries. Aujourd’hui, c’est le plaisir de ce qui est accessible… nous ne nous prenons pas trop au sérieux, mais nous sommes très investi·e·s.

 

retour au spectacle