Comment décririez-vous Them Voices ?

Le mot qui me vient à l’esprit est « périple ». Il y a une transformation, dont on saisit l’énergie, je crois, à travers les formes et le corps, même si mon identité n’est pas clairement apparente ni définie. Je perçois une sorte de lutte dans cette œuvre, malgré que j’aie tenté de l’éviter. Surtout, je voulais me plonger dans quelque chose qui explorerait différentes façons de s’épanouir, une continuité de… des manières non seulement de réimaginer, mais aussi de réinventer les récits.

 

Cette œuvre semble explorer les tensions entre les souvenirs et le présent, l’immobilité et le mouvement, l’intime et le public ? 

Je ne sais pas à quel point c’est intentionnel. Ça s’est déployé naturellement, en quelque sorte. Je pense que les tensions sont là, et d’une certaine façon, quand je dis qu’il y a une lutte dans Them Voices, je sens que c’est dans ces moments-là que la mémoire surgit, que quelque chose se manifeste : il y a toujours un jeu entre résistance et abandon, se laisser emporter, que ce soit une éruption, un mouvement d’inspiration ou une réaction instinctive, de simplement poursuivre, de continuer à dérouler.

 

Vous travaillez souvent avec des objets trouvés que vous recontextualisez et réinventez. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette démarche ?

C’est une constante dans mon œuvre. Je travaille avec beaucoup de matériaux et d’objets sur scène, mais mon approche s’est en quelque sorte transformée à mi-chemin de mon parcours. J’ai commencé à me dire : « Ce ne sont pas que des objets. D’une façon, ce sont aussi des corps. » Je les envisage comme étant dotés d’un esprit et d’une vie propre. Oui, ce sont des sacs de terreau ou un poêlon en étain, mais ce sont aussi des outils, quelque chose à découvrir. Je permets à mon imagination de prendre de l’expansion, d’aborder les objets comme si je les découvrais pour la première fois. C’est une pratique relationnelle, un dialogue. Je m’approche autant que possible, quoique ça signifie, aussi loin que m’amènera cette curiosité, cette approche ludique, cette espèce d’émerveillement enfantin. Ce sont des matériaux, mais ils ont des façons tellement variées d’exister – des esprits, des énergies –à travers les sons qu’elles émettent, leurs textures, les sensations qu’elles procurent. 

 

Vous travaillez dans la durée et avec la répétition. Je pense notamment à votre interaction avec les longs rouleaux de papier d’aluminium. Quel rôle cela joue-t-il dans votre travail ?

Oui, j’ai souvent travaillé avec la répétition et la durée, me contentant de laisser arriver. La plupart du temps, quand je suis dans le processus de création ou de retravail, je me demande : « Est-ce que c’est trop ou devrais-je en faire plus ? » Même si c’est une proposition très simple, transporter ces rouleaux et les regarder tomber, et tenter de les maintenir… il y a une vraie réciprocité en jeu. Et je pense que c’est une invitation à être véritablement présent. Être témoin des infimes nuances et variations permet au public de simplement exister dans l’espace où il… Je ne leur dis pas forcément ce que c’est, mais il s’agit de tenir l’espace pour l’assistance afin que puissent surgir différentes réactions. Je pense que c’était vraiment ça, mon idée derrière la répétition et la durée : offrir cet espace pour que l’auditoire puisse découvrir par lui-même.

 

Cette œuvre a été créée pour le jardin du Musée d’art contemporain de Montréal. Comment pensez-vous que son passage vers un lieu intérieur, à l’Espace Libre, la façonnera ?

À l’extérieur, il y a une tension entre l’ordre et le désordre, et tous les éléments naturels sont magnifiquement orchestrés : le ciel, les oiseaux, etc. En me lançant dans le déplacement du spectacle vers l’intérieur , je savais que ce ne serait pas tout à fait la même chose. Il y a certains aspects que je devrai abandonner, et d’autres que je vais découvrir. L’œuvre revient à la relation au corps et aux matériaux. Je découvre que nous devenons de plus en plus à l’écoute de la trame sonore qui est naturellement présente dans l’espace : mes pieds sur le plancher, la bâche, ma respiration… c’est un peu moins chaotique et imprévisible, mais en même temps, il y a quelque chose qui semble s’amplifier. 

 

Concevez-vous votre travail comme politique ?

Je pense que mon travail a toujours été politique dans la mesure où il s’enracine dans les rapports intergénérationnels et les répercussions du pensionnat. Ça fait partie de mon expérience vécue et ça me conditionne. Quand je pense aux états que je traverse dans Them Voices, ceux-ci sont véritablement ancrés dans cet héritage, tout en abordant le tout de façon consciencieuse. Je ne veux pas travailler à partir d’un récit très fortement axé sur le traumatisme. C’est là un langage très occidental qui risquerait de m’enfermer dans une case. Je veux me pencher sur l’épanouissement corporel, sur la célébration du corps – concevoir mon corps et mon esprit comme ayant un pouvoir décisionnel sur leur cheminement transforateur.

 

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