L’installation Holoscenes est inspirée, entre autres, d’une photographie prise durant des inondations au Pakistan en 2010. En quoi cette image vous a-t-elle interpellé ?

 Après l’ouragan Katrina en 2005, je me suis intéressé à la couverture médiatique des inondations et des changements climatiques à travers le monde.

J’ai découvert cette photographie de Daniel Berehulak montrant une inondation dévastatrice au Pakistan en 2010. On y voit de haut une dizaine de personnes qui bougent dans l’eau d’une manière étrange : certains ont de l’eau jusqu’au cou, d’autres jusqu’aux hanches. On perçoit difficilement ce qui se passe. Il se dégage de cette image une beauté classique, mais aussi énigmatique. En me renseignant, j’ai compris que la photo avait été prise depuis un hélicoptère militaire pakistanais qui livrait de l’eau et de la nourriture ; ces gens essayaient désespérément de les récupérer. Il s’agit donc d’un moment terrifiant, mais aussi d’une très belle image, qui fait penser aux peintures de Raphaël à la Renaissance.

Durant cette période, je faisais des recherches sur l’histoire de l’eau au XXIe siècle. J’ai aussi vu pour la première fois le mot « anthropocène », lequel renvoie à l’idée que l’influence de l’être humain sur la biosphère est devenue une force géologique en soi.

Tout ça m’a mené à une vision, une sorte de rêve éveillé d’un homme assis sur une chaise dans une pièce, avec une bibliothèque et un bureau, lisant le journal. L’eau monte jusqu’à son torse, il prend une grande respiration et l’eau passe par-dessus sa tête. Il continue à tourner les pages qui se désintègrent dans ses mains jusqu’à ce qu’il lise des pages qui n’existent plus.

Cette idée visuelle a mené à ce projet de construire des performances sculpturales dans un aquarium. J’ai toujours été fasciné par les aquariums. Quand on est à la surface de l’eau, on ne peut rien voir à cause de la réflexion. Les aquariums me paraissent insensés, notamment à cause de cette fine membrane qui sépare deux écologies. Cette barrière minimale ressemble à la barrière qui sépare la réalité et l’espace du rêve. Le mouvement de l’eau, ses lentes transformations, la manière dont la gravité agit dans l’eau et paraît modifier les lois de la physique sont pour moi un tremplin pour mon imagination. Les aquariums sont en plexiglas et en miroir : on contemple ce qu’il y a à l’intérieur, mais aussi son propre reflet — une autre version de soi-même, une image un peu déformée de la réalité.

 

Comment l’image de ces individus soudainement submergés d’eau et qui continuent leurs activités renvoie-t-elle à notre capacité d’adaptation face aux changements climatiques ?

L’être humain a une excellente capacité d’adaptation : il est flexible, résilient, inventif, mais vient aussi avec beaucoup d’hybris. Il pense qu’il ne doit pas vraiment changer son comportement, parce que si la crise survient, il résoudra le problème avec la technologie.

Holoscenes parle aussi de myopie. L’environnement se transforme, mais nous ne changeons rien. Depuis le début de ce projet en 2014, j’ai fait des changements par rapport à mes habitudes, mais je n’ai pas suffisamment changé mon comportement. Je me sens de plus en plus coupable de prendre l’avion, mais je le prends encore… C’est ce qui facilite ma pratique artistique et me permet d’être à Montréal.

 

En quoi l’art peut-il nourrir la réflexion sur le climat et comment peut-il le faire en complémentarité avec la science ?

Les scientifiques précisent que les informations sur les changements climatiques sont largement disponibles, et pourtant presque personne n’y réagit suffisamment. La population, les politiciens, les médias s’intéressent aux symptômes, mais peu aux sources, qui ouvrent sur des enjeux complexes.

Beaucoup de choses ont changé depuis le début de ce projet en 2011. Les changements climatiques font maintenant partie du discours dominant et on voit partout des images de catastrophes, mais il y a peu d’espace pour l’imagination et la contemplation. On imagine beaucoup de scénarios post-apocalyptiques, mais pas de quoi le futur pourrait avoir l’air si on faisait le choix d’agir.

C’est devenu clair pour moi que l’enjeu majeur n’était pas le niveau de CO2 ou la pollution, mais plutôt la capacité de l’humain à prendre des décisions à long terme, à avoir de l’empathie pour ce qui se passe à distance et également, son appréhension de la complexité. Nous ne sommes prêts pour aucune de ces actions qu’exigent les changements climatiques.

Les gens qui voient Holoscenes se demandent de quoi il s’agit, si c’est une personne réelle, un hologramme, une vidéo ou un tour de magie. Plus ils restent longtemps dans le doute, plus ils s’investissent et sont intéressés, sous l’emprise d’une sorte d’hypnose. Éveiller la curiosité des gens, les amener à se demander en quoi consiste cette œuvre et pourquoi elle existe — plutôt que de le leur dire tout de suite — est souvent le meilleur moyen de dialoguer avec eux.

 

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