L’homme rare est votre première pièce avec des hommes. Qu’est-ce qui a motivé ce choix ?

Oui, c’est une pièce composée de mecs qui viennent du Liban, de France, de Côte d’Ivoire et du Mali. J’ai appelé la pièce L’homme rare en référence à l’histoire de l’esclavage, à cette époque où l’on venait chercher des esclaves bien musclés et bien dodus à qui l’on assignait une tâche en fonction de leur morphologie. Aujourd’hui, ce sont les grandes sociétés occidentales qui viennent puiser les matières premières en Afrique. L’homme rare est une manière de rendre hommage à ce peuple noir, considéré comme de la matière première. Je me suis posé la question du regard que l’Occident porte sur le corps noir et vice versa… Qu’est-ce que le public recherche dans ce corps noir ? Je me suis rendu compte que ce n’est pas seulement à lui de répondre, mais aussi à nous, en interrogeant le regard que nous portons sur l’Occident.

Je me suis demandé aussi si l’homme rare existait. Je ne sais pas quoi répondre sinon que l’esprit n’a pas de couleur. C’est pourquoi les hommes dans cette pièce ne sont pas tous noirs, le choix s’est fait à travers les rencontres que j’ai faites. Je n’aime pas faire d’auditions. Mais ils ont tous aussi été choisis de la même manière : en leur tâtant les fesses !

 

Dès les premières secondes, le public est happé par le plaisir et la joie de danser des cinq interprètes. Est-ce une valeur inhérente à votre travail ?

Ça part toujours du plaisir. Et ce début sur la musique reggae, c’est comme si c’était leur dernière danse, c’est la consigne que je leur ai donnée. Il s’agit de danser comme si c’était la dernière fois et faire en sorte que cela reste dans la mémoire des gens. Je dis aux danseurs que leur mission, pendant ce reggae, c’est de déplacer le public sur le plateau. C’est comme si j’imaginais que le monde entier dansait du reggae. J’aime toujours commencer dans un feeling sans pression. Pour moi, ces hommes pouvaient être nus et être à l’aise sur scène. Je ne me suis pas demandé comment m’y prendre, ni même si c’était possible. C’est venu… Ce qui m’importe, c’est de créer une atmosphère, un esprit, une énergie, liés aussi à ce mélange de cultures différentes.

 

Le dos efface les identités et la nudité expose les corps. Qu’est-ce qui vous intéresse dans cette double radicalité ?

Quand on dit à un homme qu’il a de belles fesses, de grosses fesses, c’est comme si on lui arrachait sa dignité. Un jour, une spectatrice m’a dit qu’elle sentait quand même la virilité dans la pièce, alors je lui ai demandé ce que c’était que la virilité. Les femmes aussi ont une virilité. On parle toujours de la virilité des hommes et de la fragilité des femmes, mais on a toutes et tous une vulnérabilité en nous. L’homme rare explore cette ambiguïté, à la fois de la masculinité et de la féminité.

La nudité renvoie aussi à celle des esclaves, et le dos, d’une certaine façon aux hommes politiques. Les politiciens, avant les élections, se présentent face à nous, la bouche pleine de promesses. Mais après les élections, tu te rends compte que pendant leur campagne, ils nous parlaient avec leur cul ! Donc je suis curieuse de savoir ce qui se passe devant. Il y a quelque chose de mystérieux à ne nous donner à voir que le dos. L’homme rare, c’est aussi celui qui tente de percer ce mystère, de casser ce code.

 

Votre travail déconstruit les représentations du corps et démultiplie les figures sans tomber dans les clichés, notamment avec l’usage de ces tissus. Peut-on parler d’un travail sur la transformation ?

Oui, et c’est important. Si on n’arrive pas à se transformer, ça ne vaut pas la peine. Je n’ai pas le temps de m’apitoyer. Quand on naît, on est nu et quand on meurt, on est nu. Ce tissu blanc nous accueille quand on naît et ce tissu part avec nous. Comment nous accompagne-t-il jusqu’à la fin de notre vie ? De ces tissus naissent des images et des figures différentes, mais je n’aime pas les nommer, je laisse le public voir ce qu’il a à voir. Avec le dos et la nudité, je le pousse à assumer sa posture de voyeur. Ça l’amène forcément à se poser des questions sur son regard et son propre corps. C’est à cela que j’invite le public.

 

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