#1
par
Martin
Faucher
Il est là tout penaud, confus, errant quelque part chez moi où je suis reclus, sur cette table de salle à manger devenue subitement champ de toutes les batailles, professionnelles, existentielles, domestiques.
Il est bel et bien là avec ses 120 pages de mots, de photos et de promesses, parfois enfoui sous une vertigineuse pile de dossiers et de paperasses indisciplinées surgies d’on ne sait où. Et, pouf, comme par magie il réapparaît entre une assiette pleine de miettes de pain, ma tasse à café Tintin et Le temple du soleil et cet indispensable ordinateur grâce auquel je participe à des réunions virtuelles où l’on discute courbe aplatie, fermeture des frontières, annulations, reports, mesures compensatoires et, nouveau mot gorgé d’espoir que l’on prononce du bout des lèvres, déconfinement.
Rue Marie-Anne, depuis un mois, un silence saisissant règne.
Hébété par ce calme de malheur qui étonnamment me ravit, matin après matin, j’écoute l’Apocalypse selon Justin Trudeau, ainsi que la voix monocorde de son interprète, un robot made in Canada maîtrisant à la perfection l’art de déplacer l’accent tonique de la langue française.
J’écoute en début d’après-midi les implacables bilans de mortalité de François Legault, devenu notre bon papa à tous ; les consignes d’hygiène et de bonne conduite du rigolo Horacio ; les phrases brèves et posées de Danielle, probablement la seule ministre de la santé au monde connue davantage par son prénom que par son patronyme. Et que dire des rots d’ignorance et de stupidité de Donald, cet âne présidentiel qui à coups d’inepties répétées plonge nos voisins du Sud dans un chaos mortel.
Submergé par ces nouvelles ahurissantes que je ne peux m’empêcher d’écouter en boucle, je suis saoulé, sonné.
Je me surprends alors à le regarder, à le contempler, ce programme de cette 14e édition du FTA rédigé avec soin et amour. Cette plaquette de papier toute propre aux contours bien définis m’apaise.
Sous un ciel d’un bleu pur et tendre, devant un nuage duveteux, flotte, apparaît ou disparaît, difficile à dire, ça dépend de l’humeur du moment, une silhouette nébuleuse, homme ou femme, esprit peut-être.
Est-il inerte, ce programme ? Non, non, car pour qui sait écouter, il est bruissant, murmurant, tout frémissant d’une vie étrange qui ne demande qu’à surgir, malgré tout.
Aux quatre coins de la couverture céleste :
Danse + Théâtre
FTA
20.05.20 / 03.06.20
14e édition Montréal
Des dates et des mots qui me narguent, car ce programme semble appartenir à un autre monde, à une époque déjà révolue, à une autre dimension.
Je n’ose le feuilleter. Pas maintenant. Ce serait trop cruel, vain. Cet amas de papier est dorénavant inutile, désuet.
Bon pour le recyclage ?
Pourtant toute l’énergie de ce FTA 2020 qui n’adviendra pas comme je l’aurais souhaité s’y retrouve, les 22 spectacles glanés au fil des deux dernières années y sont, en dormance, trépignant de prendre leur envol !
Depuis 2015, chaque édition que je compose est un périple qui comporte son lot de défis, d’embûches, de surprises et de ravissements aussi.
Cette édition ne fait pas exception à la règle, c’est peu dire !
J’ai écrit dans ce programme un texte éditorial portant le titre La vie est là et qui se termine ainsi :
Le théâtre c’est d’abord la vie. Voilà ce que nous dit le grand Peter Brook. Inspirés par cet artiste infatigable de 95 ans, soyons parties prenantes de cette vie, car le ciel est toujours là, merveilleux.
Alors voilà, par l’entremise d’une série de textes impressionnistes, je prendrai plaisir à vivre différemment avec vous ces 22 spectacles, retracer leur genèse, partager le contexte de leur découverte, nommer le désir de leur naissance, retracer les liens qui m’unissent à leurs créateurs et leurs créatrices.
Je vous dirai comment ces œuvres ont trouvé écho en moi et pourquoi j’ai cru que leur présence sur nos scènes, ici à Montréal, pourrait nous procurer une bienfaisante lumière.
Le ciel est toujours là, le FTA aussi !