Qu’est-ce qui a déclenché et nourri ce projet ?

Alexis O’Hara : Nous avons commencé en pleine pandémie et sur fond de catastrophe climatique à réfléchir au cloud sous trois angles différents : le cloud comme câble qui stocke nos données, que l’on imagine propre et dans le ciel, mais qui est en réalité sale et sous l’océan ; le cloud comme drogue et dépendance aux médias, créant ce grand trou dans nos âmes ; et finalement le cloud comme tempête, désastre, perte d’habitat et de mort.

Et puis nous avons lu beaucoup de livres et regardé un tas de films catastrophes et de science-fiction dans lesquels reviennent sans cesse des personnages archétypaux. L’un d’eux renvoie à Cassandre, qui, dans la mythologie grecque, a été condamnée à devoir dire la vérité sans que jamais personne ne la croie, un peu comme les environnementalistes aujourd’hui.

 

Vous qualifiez votre démarche de « militantisme politique satirique » fait dans un « esprit total d’imagineering queer ». Qu’entendez-vous par ces expressions ?

Atom Cianfarani : Cela fait quelques années que je suis obsédé par cette idée d’ « imagineering »,  une combinaison des mots « imagination » et « ingénierie », l’idée d’une créativité qui fabrique des mondes. J’adore cette combinaison du queer et d’imagineering comme perspective de création d’un monde non normatif. La pensée politique qui sous-tend notre travail est très claire, comme notre posture anti-capitaliste et le refus de participer à une culture normative. Dans ce projet, les mots ont leur importance. Leur efficacité nous permet de dire exactement ce que nous voulons dire.

A.O. : L’humour est une manière très efficace pour faire passer des concepts difficiles. Si l’on veut aller en profondeur, il faut de la légèreté et de la distance, sinon les gens résistent et dressent des murs. L’usage de la satire permet de rire de nous-mêmes plutôt que d’être sur la défensive.

 

Vous affirmez une attitude écoresponsable. Quelles conséquences et quels compromis cela implique-t-il dans votre processus de création et votre vie au quotidien ?

A.C. : Par exemple, le décor est entièrement fait de matériaux que nous avons récupérés et il en sera de même pour les costumes. Nous ramassons des ordures et avons une immense collection de matériaux, la quantité d’un magasin dans le sous-sol ! Je suis fasciné par les encyclopédies de bricolage et de menuiserie des années 1950 et 1960. C’est une source incroyable de connaissances. Tu peux y trouver des plans et des astuces pour fabriquer ce que tu veux.

A.O. : Pour nous, cela implique de réduire. Des trois « R » dont nous parlons sans cesse : réduire, réutiliser et recycler. Mais personne ne veut entendre parler de la réduction. Il y a cette idée fallacieuse que notre société s’effondrerait si nous arrêtions d’acheter, puisque le capitalisme repose sur le fait de consommer. Nous choisissons de travailler à une petite échelle pour rendre les choses légères et faciles à transporter, ou trouvables n’importe où. Nous privilégions une relation intime avec le public, donc une petite salle. C’est toute une éthique de travail qui va notamment à l’encontre du « virage numérique » — exerçant une pression très forte sur les artistes —, où l’idée de la nouveauté et de consommation est majeure.

 

À quoi nous invitez-vous ? Que souhaitez-vous partager comme valeurs avec le public ?

A.C. : J’aimerai que le public sorte de la performance et change son mode de vie, mais cela n’arrivera jamais. Nous souhaiterions que les gens restent actifs, qu’ils prennent conscience de l’importance de s’engager vis-à-vis de leurs propres choix et qu’ils réalisent que c’est bien leurs vies qui sont en jeu. Nous souhaiterions qu’ils réfléchissent à la manière dont leurs choix affectent les autres.

A.O. : Je pense que l’on essaie de traiter des catastrophes climatiques et de partager nos idées sur le sujet, mais surtout pas à coups de marteau sur la tête. Nous pensons que l’art a un potentiel d’éducation et qu’il peut générer de la joie. Ce projet n’aura pas de finale heureuse, mais il aura pour objectif de produire de la joie comme moteur de vie.

 
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