Pourquoi avoir choisi de travailler cette pièce de Shakespeare, As You Like It ?

Avec Chris Abraham, le directeur artistique de Crow’s Theatre, l’un des aspects de la pièce qui nous a intéressés est le fait qu’elle met en scène un exode des gens de la ville vers la forêt. Ce mouvement vers la terre provoque la rencontre de deux mondes normalement opposés et, à partir de cette rencontre, un renouvellement devient possible. D’un point de vue autochtone, je pense que le mouvement entre les territoires participe aussi à créer un dialogue. Non seulement géographiquement bien sûr, mais également métaphoriquement. De part et d’autre, le fait de prendre du recul et de changer de perspective peut mettre en lumière des choses qu’il est difficile de repérer de l’intérieur.

Nous avons tous tendance à nous complaire dans ce que nous pensons savoir. Parce que nous avons lu un article, nous croyons connaître les enjeux d’une situation, ou alors que parce que nous avons rencontré une personne, nous éprouvons de l’empathie. Or, ce n’est pas vrai. Il faut toujours essayer plus fort de mieux comprendre qui est l’autre et ce qu’il vit.

 

L’œuvre de Shakespeare dialogue sans cesse avec le passé pour jeter un éclairage sur le présent. Quel est votre rapport avec l’histoire ?

Ces jours-ci, j’ai l’impression que l’histoire est quelque chose que nous utilisons sans cesse les uns contre les autres. Chacun·e brandit des faits historiques pour imposer son point de vue et réfuter celui de son voisin. Comme autochtones, l’histoire qui nous a été servie depuis l’enfance est truffée de mensonges et d’inventions. Par chance, il y a un réel changement qui s’opère et de nouvelles perspectives sont en train d’être lentement intégrées au récit collectif. Le spectacle s’inscrit dans ce mouvement et cherche à déplacer notre regard.

Il ne s’agit pas de tout jeter à la poubelle l’histoire officielle du monde occidental, mais de dire qu’il y a de la place pour d’autres histoires. Celles-là ont d’autres points de départ, on y a accès seulement en écoutant ce que les gens disent là d’où je viens, ce que les anciens racontent. Ces récits-là sont aussi valables que ceux qu’on trouve dans les manuels scolaires.

 

Vous vous emparez d’une des comédies de Shakespeare et votre proposition est assez ludique. Selon vous, existe-t-il plusieurs formes de rire, l’une qui serait positive et transformatrice, et l’autre, moins adéquate, qui serait davantage dans la complaisance ou l’indifférence ?

Je pense que le rire est toujours positif. Même quand on rit d’un sujet très triste ou très sérieux, il y a toujours quelque chose qui est libéré par le rire. Parfois, il s’agit de quelque chose de profondément enfoui, et le rire, même s’il émerge tel le pus d’un furoncle, permet de l’atteindre de manière surprenante. Lorsqu’une blague fait émerger une image vraiment dure, il faut se rappeler que cette image n’est pas réelle, elle n’est qu’un outil pour nous permettre de regarder certaines parts de nous-mêmes de façon plus juste et plus vraie.

Le rire se construit dans la relation entre deux personnes : l’une tente de faire rire l’autre. Si l’autre rit effectivement, elle est responsable de ce rire. La transformation éventuelle est donc la responsabilité de chacun·e. Tout le monde est libre de choisir comment aborder les éléments qui ont suscité sa réaction. Parfois, c’est très difficile de les affronter et on peut décider d’enterrer ces idées au fond de nous-mêmes, mais d’autres fois, on peut décider de les utiliser pour amorcer une transformation.

Je ne crois pas que le théâtre fonctionne comme la propagande, même lorsqu’une œuvre porte un message extraordinairement vertueux ou important. La seule chose que le créateur doit au public, c’est de lui permettre de passer un bon moment. Et peut-être de lui faire ressentir quelque chose. Pas de le transformer.

 

Votre spectacle s’annonce comme une relecture « radicale » d’As You Like It. En quoi votre proposition est-elle radicale ?

Personnellement, j’estime que le texte est suffisamment fidèle à la pièce originale pour que nous ayons pu simplement le nommer « As You Like It ». D’ailleurs, je dois dire que je caresse le rêve d’être invité à Stratford avec cette adaptation shakespearienne ! Mais puisque la partition est tout de même différente de celle de Shakespeare, il est apparu important de l’indiquer par un qualificatif, pour que le public ne se sente pas trompé. Donc, je ne sais pas en fait si le spectacle est radical, mais je peux vous assurer qu’il est rad (génial) !

 

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