Pouvez-vous m’expliquer d’où vient ce titre Lay Hold to the Softest Throat ?

Le titre évoque pour moi quelque chose de fleuri, qui viendrait d’un autre temps, quelque chose de l’ordre de la mythologie. Il renvoie au fait de chanter, à une expression très vulnérable, connectée au cœur, à l’intérieur. On produit des sons étranges. La gorge, comme organe, comme objet, a quelque chose qui tient de l’étrangeté.

Que signifie ramollir, s’adoucir dans la gorge ? C’est probablement l’une des premières questions que je me suis posées pour le projet. Et si ma gorge était douce ? Et si je m’autorisais à partager quelque chose d’émotionnel ? C’est comme s’il ne m’avait pas semblé possible, en danse contemporaine, d’exprimer une sorte de sincérité, sauf de façon subversive — pour se protéger peut-être ? Je me suis rendu compte aussi que j’avais arrêté de chanter pendant plusieurs années et que j’étais terrifiée à l’idée d’utiliser ma voix. Ce sont les effets d’un perfectionnisme latent lié au début de ma vingtaine, au moment de ma rencontre avec Grotowski.

Aujourd’hui, je me sens davantage en confiance sur scène, surtout depuis la collaboration avec Malik Nashad Sharpe, où l’espace de la scène est devenu un « yes space », où tout, ou presque, peut arriver, où la question de ce qui est bon ou mauvais n’existe plus.

 

Qu’est-ce qui vous intéresse dans le fait de renouer avec l’œuvre du metteur en scène polonais Jerzy Grotowski ? Comment vous positionnez-vous par rapport à sa figure de maître ?

Je voulais revenir à Grotowski, non pas dans un but de recherche académique ni même archivistique, mais plutôt pour ce que cela avait activé en moi. Ce qui m’avait intéressée et passionnée, c’était une connexion au spirituel, à cet « acteur saint ». À ce moment-là, j’étais aussi attirée par l’ascétisme de son travail, ce qui a eu une sorte d’effet pervers. Ce que j’ai retenu de sa démarche, c’est le désir de se connecter à ce qui est considéré comme essentiel, et implicitement, de se débarrasser de ce qui ne l’est pas.

C’est pourquoi j’ai réouvert ma relation à ma voix et j’ai eu envie de me réinsérer dans les mots de ce monde-là, mais cette fois, sans aucune tentative d’effacement de moi-même ou de quiconque, sans aucune volonté d’épuration. J’ai beaucoup de tendresse envers l’« acteur saint ». Cette figure devait se transformer en monstre sacré des marais !

Il est important pour moi de mentionner que je n’adopte pas une posture critique à l’égard de son travail. Je ne fais que le convoquer en l’associant à d’autres éléments. Je me demande plutôt ce que ma fascination de l’époque m’a empêché de comprendre.

 

Le texte prend une place conséquente. Comment a-t-il été élaboré ?

Grotowski était un maître du théâtre, ce que je ne suis définitivement pas. Mais nous avions un désir d’écrire une pièce ensemble, de « jouer » ensemble et jouer l’expertise. Nous avons écrit un texte surréaliste, fait d’associations d’idées, défiant toute logique, ou plutôt un texte écrit par trois personnes ayant des perceptions différentes de ce que serait la logique.

J’aime que les choses n’aillent pas ensemble et qu’elles soient collées côte à côte. J’aime le paradoxe sans résolution. Ce qui m’importe, c’est que tout ce que je considère comme étant sacré fasse partie de la pièce, que ce soit la complexité, la multiplicité, la profondeur, le dégoût, l’absurdité, ou encore le monde souterrain, le paradis, l’harmonie, la dissonance. 

 

Il y a quelque chose du rapport au mystère qui se dégage. Dans quel espace de partage nous invitez-vous ?

Il y a le désir de plonger le public dans un monde indiscernable, de sorte que l’on ne sache pas exactement où nous sommes ni même ce qu’il s’y passe. Cela pourrait être perçu comme un rapport de force entre la scène et la salle, mais ce n’est pas cela qui m’intéresse. Ce serait plutôt de convoquer le sentiment de ne pas savoir afin de déjouer les attentes. Donner l’impression d’assister à un accident banal, à un rituel naïf, ou de voir quelqu’un en train de faire de la synchronisation labiale sans savoir si c’est ce à quoi vous assistez.

Vous êtes invité·e·s dans un espace à l’honnêteté embarrassante, où sont présentes les notions de découverte et de jeu, des qualités inhérentes à la rencontre possible entre le monde des enfants, celui des adultes ou le chaos. Nous sommes autant dans un espace imaginaire qu’au théâtre, et parfois, le tout s’effondre et nous sommes nulle part, dans les poubelles divines !

 

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