Les fleurs occupent une place importante dans le processus de création de Floreus. Qu’est-ce qui vous a amené à en faire des partenaires de danse à part entière ?

Quand j’étais plus jeune et que j’étais encore pris dans les stéréotypes de la masculinité, je n’aimais pas les fleurs. Je les associais au féminin et j’étais gêné d’en recevoir. J’ai commencé à m’y intéresser pendant la pandémie. La nature au sens large a été salvatrice pour moi. Je me suis beaucoup entouré de fleurs, je les ai photographiées et j’ai appris des techniques pour composer des bouquets. Aussi, j’ai découvert le travail de Zachari Logan, un artiste visuel canadien reconnu entre autres pour ses représentations florales en dessin. Certaines des fleurs qu’il dessine poussent en périphérie des jardins, dans les craques de bitume et font référence à la marginalité de l’identité queer, qui est la mienne aujourd’hui et celle de plusieurs artistes de Floreus. Il fusionne même corps humain et fleurs dans certaines de ses œuvres.

La prémisse de la pièce vient d’une résidence au Peabody Essex Museum de Salem où nous avons travaillé autour de son exposition Remembrance. La plupart des mouvements ont ainsi été créés à partir d’improvisations autour de ses œuvres. 49 Flowers nous a particulièrement inspirés. Ce sont 49 dessins très fins de fleurs variées, au crayon rouge tendre, faits en hommage aux victimes de la tuerie du club de nuit Pulse d’Orlando, en 2016, qui visait la communauté LGBTQ+. Ils nous ont amenés à trouver des chemins de corps différents.

Nous avons aussi eu la chance d’une résidence aux Jardins de Métis où nous avons vu à quel point les textures et les odeurs éveillaient la sensorialité en chacun de nous et entre nous. À cette occasion, nous avons poussé l’exploration d’une pratique écosomatique prônant la déhiérarchisation entre les espèces du vivant et le non-vivant. Nous avons cherché à créer une connexion d’égal à égal avec les fleurs, à développer avec elles un rapport très profond où l’on donne et l’on reçoit sans instrumentalisation.

 

Comment concevez-vous la relation égalitaire avec les fleurs coupées de Floreus ?

Nous sommes conscients qu’elle ne l’est pas vraiment. Cela nous invite à encore plus de douceur envers ces fleurs qu’on accompagne en quelque sorte vers la mort. Un rapport s’établit dans le soin que l’on prend de leur beauté et de leur décrépitude. Nous les garderons toutes d’une représentation à l’autre même si on en ajoute de nouvelles. Nous accepterons leur état, quel qu’il soit. Dans la mesure du possible, pour minimiser l’impact écologique, nous travaillerons avec des fleurs de saison ou vouées au rebut, comme on l’a vu dans le processus d’entretien des Jardins de Métis. C’est une manière de nous exercer à mesurer l’impact potentiel de nos gestes et comportements et à nous inviter à plus de respect pour tout ce qui nous entoure.

 

Comment composez-vous avec le fait de présenter un travail aux accents érotiques dans un lieu religieux ?

C’est politiquement fort de trouver comment habiter autrement ce genre de lieux dont les communautés marginalisées comme la nôtre ont été exclues. Nous respectons l’histoire et la charge sacrée du lieu, tout en y inscrivant nos corps queer de manière assumée et en délicatesse.

Il faut dire aussi que nous essayons de communier avec tout ce qui nous entoure, pas seulement avec les fleurs. Nous opposons notamment la tendresse et la sensualité aux codes sexuels de la brutalité en interagissant avec des éléments non vivants tels que le marbre. La dureté de cette matière dicte les possibilités du corps. Cela peut d’ailleurs traduire la difficulté d’être queer dans un monde encore trop rigide sur le plan de la tolérance et de l’acceptation des différences. J’ai à cœur de permettre à la tendresse de s’immiscer dans l’espace public. Au-delà de la déconstruction des stéréotypes sur les gays, Floreus ouvre pour tout le monde une perspective sur la sexualité positive. À l’heure où la pornographie hyper présente sur le Web véhicule comme une normalité la brutalité dans les rapports sexuels, cela me semble salutaire.

 
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