Que nous apprend l’iceberg de Qaumma sur la relation entre l’homme et la nature ?

Laakkuluk Williamson Bathory : Notre culture considère que toute chose a une âme. La vie d’un rocher est très différente de celle d’un hibou, ou de celle d’un humain, mais ils ont quand même une vie. La raison pour laquelle nous avons choisi l’iceberg est qu’il est riche de possibilités : il peut émettre, créer, absorber la lumière ; il peut être au centre de nos histoires, il peut en être le conteur.

Vinnie Karetak : Nous voyons l’iceberg comme étant soit le point d’ancrage, la source, soit le domicile. L’une des histoires que nous racontons est celle d’une mère avec un bébé sur le dos et un fils, qui se cache du vent pendant la nuit, ou qui essaie de se reposer avant le jour, avant de continuer vers la prochaine communauté après avoir abandonné deux jeunes filles, simplement pour que quelqu’un puisse survivre. L’iceberg est un élément qui peut changer et transformer la façon dont les histoires sont racontées.

 

Ces histoires sont celles de femmes inuites qui ont réussi à faire perdurer la lumière, à maintenir la flamme de leur famille allumée ?

K. : La flamme, c’est être Inuit et être assez fort pour pouvoir résister à une force qui essaie d’anéantir l’Inuit. Il faut quelqu’un, un roc, un ancrage, une matriarche qui cache et protège la flamme jusqu’à ce que la tempête soit passée, et qui peut dire : « Tiens, petite fille, tu peux prendre ceci, tu peux utiliser cela, si jamais tu te perds, si tu te trouves dans un endroit sombre, ça peut t’aider ».

W. B. : Nous continuons à exister en tant qu’Inuits malgré le fait que les institutions coloniales qui nous entourent de toutes parts nous dépouillent continuellement de notre humanité. Et pourtant, nous existons, grâce à cette flamme. Nous sommes cette flamme. Il est si important de reconnaître que les Inuits ont de grandes compétences en matière d’improvisation, et que l’improvisation ne consiste pas simplement à inventer des choses sur le moment, c’est en fait quelque chose que l’on apprend dès l’enfance : s’attendre à l’inattendu, être capable de composer avec l’inattendu.

Lorsque les Inuits font de l’art, je trouve incroyablement important qu’ils soient des humains avant tout et que leur art ne soit pas le produit final, ce sont des humains avec une âme qui créent ces œuvres d’art, qui sont elles-mêmes une représentation d’une partie de leur âme.

Vinnie et moi fabriquons un objet physique qui est une œuvre d’art et nous lui insufflons également de notre humanité. La figure de la mère, de la matriarche, est au cœur de l’histoire, car il s’agit de la façon dont cette mère s’efforce de protéger ce noyau intérieur, cette flamme, cette lumière, en pivotant toujours, en protégeant et encourageant la créativité.

 

Diriez-vous que le geste de détruire et de reconstruire un tambour dans Qaumma soulève les questions de vol culturel et de colonisation ?

W. B. : La destruction du tambour a été faite par notre propre peuple à la demande des institutions coloniales. C’est un acte tellement puissant et je tiens tant à l’âme de Vinnie que je ne veux pas qu’il le répète encore et encore. Pour nous, le tambour est un aspect très important de ce que nous sommes, de notre expression culturelle et de ce qui nous est arrivé, et je ne veux pas que Vinnie se fasse détruire encore et encore pendant qu’il le fait, alors je lui ai suggéré de réaliser une vidéo où il le fait une fois, dans des circonstances idéales où il est en sécurité, soutenu et aimé. L’acte sert à libérer et à apaiser la douleur.

Nous nous produisons pour notre communauté de manière cathartique pour montrer des choses que certaines personnes n’ont peut-être pas réalisées auparavant. C’est d’abord et avant tout ce que nous essayons de faire. Le fait de se produire devant des non-Inuits les invite également à découvrir ce processus et nous amène à de nouvelles interprétations presque tout le temps. Le public se sent exposé, mais en toute sécurité, et validé sur le plan intellectuel. Quant à l’uaajeerneq, c’est toujours un lieu sûr. C’est un espace d’entraînement à la peur. Parce qu’en dehors du théâtre, on est confrontés à tant de dangers, et cette peur est réelle.

K. : Dans les années 1950, les activités païennes des Inuits, ou des Esquimaux, étaient interdites parce que les prêtres disaient qu’il n’y avait qu’un seul Dieu. Chanter et utiliser le tambour était une façon de perpétuer les pratiques païennes, les croyances chamaniques, la sorcellerie, en quelque sorte.

 

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