Il existe des constantes dans le travail de L’eau du bain : l’exploration des différents âges de la vie en scène et la recréation sensorielle de lieux, réels ou imaginaires. Est-ce que ce sont des éléments que vous creusez consciemment ?

Un peu des deux : il y a des départs conscients, puis des transformations dans le travail qui font surgir de nouvelles pistes. Le moteur, au tout début de L’eau du bain, c’était de travailler avec des non-acteur·trice·s, donc des gens qui arrivent avec plus de naïveté, une présence brute et une capacité à se dévoiler sans trop contrôler les choses. On a travaillé avec des adolescent·e·s. Cela nous a mené·e·s à travailler avec des personnes âgées, et enfin avec les enfants.

Ce qui me passionne dans ces projets, c’est de se mettre dans des situations déstabilisantes. Nous ne sommes pas seulement entre artistes, installés autour d’une table dans un théâtre, à maîtriser tous les paramètres, nous sommes dans le monde et devons accueillir toutes sortes de surgissements. Dans La chambre des enfants, la présence des enfants nous pousse vers cet état d’écoute exacerbée et, dans White Out, c’est la lumière et la fumée qui créent la contingence. La recherche d’un théâtre atmosphérique, qui atteint son apogée dans White Out, s’est faite petit à petit avec Thomas Sinou (concepteur sonore) et Nancy Bussières (conceptrice d’éclairages). À force de travailler ensemble, on se comprend davantage et chaque moyen d’expression peut prendre plus d’ampleur. La lumière, en tout cas, a pris de plus en plus de place dans notre langage.

 

De quels désirs est né le projet de White Out ? Quels sont les points de départ du projet ?

J’avais envie de me frotter à La maladie de la mort de Duras, d’une part. Et, d’autre part, le désir de travailler avec des enfants. Nancy avait envie de ce White Out, point de départ esthétique joyeusement contraignant. Elle nous a montré la photo d’une installation de James Turrell. Et là, tout de suite, nous avons dit : « C’est ça, il n’y a pas de doute : le vide lumineux de la chambre de Duras  » On a mis beaucoup de temps à créer le dispositif qui nous permettrait de faire en sorte qu’on ne sache plus où on est. La présence des enfants est venue plus tard. Nous devions trouver et arrimer ces univers, parce que la chambre des amants et la chambre des enfants, ce n’est pas du tout la même.

Dans le roman La maladie de la mort, le point d’impulsion que je saisis est le moment où l’homme revient dans la chambre et se rend compte que la femme est partie. C’est par son absence qu’il réalise son amour. Cet événement résonne avec mes deuils personnels. Je me suis dit que nous avions tous et toutes vécu de ces moments de perte — deuil, peine d’amour, épuisement. La trace de l’autre dans l’espace ouvre un gouffre qu’on symbolise par le whiteout, par cette perte de repères extérieurs, vide qui fait écho à ce qui s’ouvre sous soi lorsque les structures ou les repères de notre vie s’effondrent. Ce vide est plein de vertiges, de fantômes, mais aussi de promesses. Il permet peut-être de renouveler son regard sur le monde, les sensations liées à cet être au monde.

Et, de La maladie de la mort, on garde aussi le décor : cette chambre en bord de mer, l’hiver, les sons de la mer au-dehors. Et la solitude de la chambre. Ce rapport entre dehors et dedans : on ne sait plus s’il vente hors ou dans la chambre. C’est loin d’être une adaptation du texte, mais il est présent partout, en sous-texte. Cette valorisation du vide, le pouvoir du vide et de la perte qui traverse ses romans, m’habite aussi beaucoup. J’ai l’impression que le lectorat de Duras reconnaîtra sa trace, son écho dans le travail.

 

Comment s’est déroulé le travail avec le groupe de jeunes ?

Le fait de faire les deux spectacles avec la même gang a été extrêmement bénéfique. White Out et La chambre des enfants se déroulent dans une chambre où la solitude et l’ennui sont creusés. Ce qu’on trouve dans l’un se transvase dans l’autre, et vice versa. Le lien de confiance avec les enfants s’est tissé à travers les deux processus. Les jeunes ont du plaisir dans les deux, mais apportent davantage de leur propre univers dans La chambre des enfants. Une fois le lien établi, lorsque j’ai vu qu’ils et elles s’amusaient, je me suis permis d’être plus directive, en particulier pour White Out.

Nous tenons à ce que les enfants trouvent leur compte tout du long du projet, et ce n’est pas si évident. Ce ne sont ni des adultes ni des professionnel·le·s. Ils et elles apprennent des choses et se développent au fil de la création. Je ne sais pas si j’y arrive, mais l’idée, c’est de surtout ne pas les instrumentaliser. J’ai quand même le rêve d’un spectacle, mais je dois me mettre le plus possible à leur écoute. C’est un équilibre entre une recherche esthétique exigeante, sans compromis, et un cadre éthique sans compromis non plus qui leur offre confort, sécurité, apprentissage. Je ne dirais pas qu’il y a absence de hiérarchie, mais elle est réduite au minimum.

 

Quelle est la part du rêve dans vos œuvres ?

Pour White Out, et même pour La chambre des enfants qui forment un diptyque, j’avais envie de me tenir dans la zone entre le sommeil et l’éveil, quand vous entendez les sons extérieurs depuis le rêve, donc vous les interprétez à la lumière du rêve. Cela fait écho à la recherche de L’eau du bain : mêler la réalité et la fiction, le rêve et le réel, le conscient et l’inconscient. Pour moi, la création se situe là, d’une certaine façon : comment on fait se rencontrer ce qui nous habite avec ce qu’on habite.

Dans La chambre des enfants, le rêve est vraiment devenu une thématique de travail. C’est ce qui nous relie avec les enfants. On avait la volonté de donner de la place à leur imaginaire. La chambre des enfants, c’est une chambre dans laquelle les rêves prennent autant de place que le réel. C’est un voyage, une traversée.

 

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