Les cahiers
des Respirations

#4

par
Emmanuelle
Jetté

27 août 2021

Les théâtres annoncent déjà la rentrée culturelle, l’été semble avoir filé entre nos doigts. Le FTA a pourtant bel et bien donné le coup d’envoi à la saison des terrasses en mai dernier.

Depuis que j’y ai goûté, le Festival TransAmériques annonce pour moi l’arrivée des beaux jours. Un an après l’annulation de l’édition 2020, le public du FTA s’est à nouveau rassemblé, non sans prudence. Dans le respect des mesures sanitaires en place, le FTA a souhaité souligner le travail acharné des artistes, visibiliser un milieu fragilisé par la pandémie, mais surtout rappeler l’importance d’être ensemble.

On aura beau diffuser en ligne un spectacle de danse et promouvoir des pièces en solo pour respecter la distanciation, les arts vivants se nourrissent de la rencontre, tant avec le public qu’entre artistes. Dans ce billet, je rends hommage au dialogue, au partage, à notre être fondamentalement social. Je célèbre ces démarches artistiques qui prônent l’échange, derrière et devant la scène. Trois danseurs et chorégraphes des Respirations ont particulièrement attiré mon attention sur ce point.


Retraced – 7Starr

Vladimir « 7Starr » Laurore est maintenant bien connu du public du FTA grâce à sa performance dans Anima / Darkroom, un solo co-créé avec Lucy M. May et présenté au FTA 2021. 7Starr est un pionnier du krump au Canada, une danse de rue non-violente aux mouvements rapides et saccadés née dans les années 2000 à Los Angeles. Très impliqué dans le milieu communautaire, 7Starr cumule près de 20 ans de carrière.

Son projet en cours, Retraced, a pour objectif premier de poser un regard rétrospectif sur sa pratique de danseur, rappeur et chorégraphe afin de la transmettre aux artistes de la relève en krump. 

Au moment de recevoir le soutien des Respirations, 7Starr terminait une période de mentorat auprès de Victor Quijada, chorégraphe de la compagnie RUBBERBAND. Ayant développé sa propre technique au fil de ses vingt ans de carrière, Victor Quijada est une source d’inspiration pour 7Starr, qui souhaite maintenant créer sa propre compagnie de danse et affirmer sa signature.

7Starr cherche à former des danseurs et des danseuses avec qui il pourra travailler sur de nouvelles créations à l’esthétique unique, en s’éloignant des chemins battus du milieu du krump. Le style qu’il développe depuis plusieurs années a pour nom le 7*Skopez et se concentre entre autres sur le travail au sol, zone peu exploitée en krump. Il se caractérise aussi par son utilisation du Buck Talk, soit l’intégration de la voix et d’un langage cru propre au krump.


Dernier vidéoclip de 7Starr, exemple de Buck Talk

Pour 7Starr, ce projet ne saurait se faire sans l’apport de proches collaborateurs et collaboratrices qui peuvent contribuer à faire avancer sa pensée.

Le krump se situe à mi-chemin entre la technique et l’originalité propre à l’individu, ce que 7Starr cherche à respecter dans sa méthode en faisant appel à des artistes aux parcours et aux styles variés.

Son bras droit, Tommy « Sin’cere » Nuguid, provient du popping et connait bien le 7*Skopez. On a notamment pu le voir danser dans une Salutation du FTA 2021.

Mathilde « PhoenX » Mercier-Beloin est issue de l’École de danse contemporaine de Montréal. Protégée de 7Starr, elle est une des artistes canadiennes en krump les plus prometteuses, intégrant dans son style la souplesse de la danse contemporaine.

Véronique D’ababté n’est pas une danseuse de krump, mais 7Starr fait appel à elle pour son expertise en travail au sol et en sauts.

Il continue également à solliciter le conseil de son mentor Victor Quijada afin de consolider sa réflexion. Toujours animé par cet esprit de partage et de co-construction, 7Starr poursuit son travail au fil de résidences de création notamment à la Maison des arts de Laval et à Tangente.


Face to Face – Naishi Wang

Le danseur et chorégraphe chinois Naishi Wang adhère lui aussi à un mode de création ancré dans la collaboration. Son duo Face to Face soutenu par les Respirations se développe d’ailleurs de pair avec le danseur berlinois Lukas Malkowski.

Au-delà du « pas de deux » qu’il engendre, Face to Face cherche à comprendre ce qui circule réellement entre deux êtres dans un tête-à-tête hypnotique.

Naishi Wang vit et travaille à Toronto depuis son entrée à l’école du Toronto Dance Theater en 2004. C’est entre autres grâce à son implication dans les projets du chorégraphe québécois Paul-André Fortier, dont on a notamment pu voir le Solo 70 au FTA 2018, qu’il s’est fait remarquer par le Festival TransAmériques. Son solo Taking Breath, programmé au MAI – Montréal, arts interculturels en février 2019, témoignait de son intérêt pour les formes de communication intimes du corps, qu’il met à nouveau à profit dans le duo Face to Face.

L’œuvre mêle théâtre physique et danse pour investiguer ce qui se transmet par le langage corporel lorsque deux personnes se croisent. Tels deux aimants, les interprètes du duo s’étreignent et se repoussent, se jaugent et se dévoilent, tantôt face à face, tantôt dos à dos. Chacun apprend à lire le jeu physique de l’autre et à en traduire les intentions, qu’elles soient véhiculées par une expression du visage, un ton de voix ou un regard. Face to Face explore la transmission des émotions par le corps et en dévoile toute la complexité.

C’est notamment par le dessin que Naishi Wang tente de comprendre ce qui se révèle dans le mouvement. En alternant danse et crayonnage, il crée des partitions graphiques vivantes qui nourrissent sa démarche, et vice versa.

Il a d’ailleurs consacré les mois de décembre 2020 et de janvier 2021 à ce type de recherche en solo, le voyage au Canada de Lukas Malkowski ayant été compromis par la situation pandémique. Face to Face n’a donc pas vu le jour comme prévu à l’espace de The Citadel + Compagnie à Toronto en avril 2021. La première du spectacle a été reportée au printemps 2022 avec la ferme intention de ne pas transposer la création en projet numérique, puisque le cœur de l’œuvre repose sur ce que provoque la rencontre physique entre deux êtres.


Carrier – Benjamin Kamino

Alors que Naishi Wang se concentre sur ce qui nait d’un face à face, Benjamin Kamino cherche à mettre en lumière ce qui nous unit même après la rencontre.

Cet artiste canadien basé à Montréal définit d’ailleurs la danse comme un espace pour faire émerger un ensemble de corps sans langues ni frontières. Il multiplie les projets à caractère multigénérationnel, comme le duo m/Other avec sa propre mère, et rassembleur, tel que la performance chantée real’s fiction\dissonant pleasures où chacun·e est amené·e à rejoindre la mélodie.

Son projet actuel, Carrier, titre dérivé du concept « carriance » de la psychanalyste et peintre Bracha L. Ettinger, associe l’action de porter et d’être porté·e en danse.

En collaboration avec Lee Su-Feh, Josh Hite, SF Ho et Brynn McNabe, Benjamin Kamino met en scène un duo de corps qui s’écoutent et prennent soin l’un de l’autre dans leurs chutes, dans leur fragilité.

La rencontre intime des performeuses Alexa Mardon et Zahra Shahab se produit dans une installation bricolée. Un ventilateur assez imposant, fixé à l’horizontale sur de grandes boîtes au sol, maintient une grande feuille de papier en suspension. Outre le bruit des pales, une voix chuchotée au micro résonne dans l’espace.

Carrier est une ode à la résistance et à la force vive née de l’effort de soutenir son prochain. Pour le chorégraphe, cette œuvre révèle la beauté de ce qu’on laisse derrière soi après notre disparition, de ce qu’on a participé à ériger malgré notre vulnérabilité.

Benjamin Kamino travaille sur ce projet depuis plus d’un an. Il devait d’ailleurs en présenter une première version à Vancouver en novembre 2020 au théâtre de la compagnie EDAM – Experimental Dance and Music, mais les performances ont malheureusement dû être annulées en raison de la situation sanitaire préoccupante.


Connexion(s)

Un regard ou un sourire suffisent pour établir un contact. C’est parfois dans un simple salut que se logent les découvertes les plus insoupçonnées, jusqu’à créer un lien indéfectible entre deux sensibilités.

Dans le travail de collaboration de 7Starr, Naishi Wang et Benjamin Kamino, l’art relationnel guide chaque inspiration. Les corps, les voix, les idées se répondent, se complètent, s’entrechoquent ou s’imbriquent dans un esprit de cohésion. Ici, « le tout est plus grand que la somme des parties » d’Aristote prend tout son sens.

C’est par la rencontre, la relation à l’autre que naît l’impulsion du mouvement. L’œuvre peut alors prendre son envol.

 

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